lundi 2 mars 2020


UN BÉBÉ À TOUT PRIX

Réda arrêta sa voiture devant la porte de sa villa. Il resta un moment les yeux fermés et alluma une cigarette. La voix de sa mère résonnait encore dans sa tête.
— Réda! Mon fils, il faut te réveiller, tu ne peux pas rester toute ta vie sans enfants. Razika n’a pu te rendre heureux en te donnant un bébé. Si ce n’est pas un accouchement prématuré, c’est un bébé mort-né. Tu l’as épousé sans mon consentement, et j’ai fermé l’œil. Maintenant, si cette grossesse n’irait pas à son terme ou qu’elle accoucherait d’un bébé mort-né, tu dois songer à te remarier. Je voudrais tenir ton fils dans mes bras, je ne vais pas vivre éternellement»
Petit entrepreneur dynamique et travailleur, Réda se demandait comment lui, qui a réussi à développer son entreprise de construction de bâtiments, par la force de son caractère et la sueur de son front, ne peut aujourd’hui s’extirper sans dommage de ce bras de fer entre sa femme et sa belle-mère. Certes, son aisance financière a été propulsée par une conjoncture économique favorable. Mais, il avait réussi à déjouer tous les tracas administratifs avec une facilité déconcertante bien qu’il travaillait à la lisière de la réglementation. Ce qui lui a permis de tisser de bonnes relations qui ont fait fructifier ses affaires en amassant une petite fortune. Mais la nature, parfois capricieuse, l’avait privé du bonheur d’être père.

Tassé au fond du fauteuil de sa voiture, il se remémora le jour ou il avait rencontré Razika, par hasard dans une supérette. II a été subjugué par sa beauté. Il n’a pas attendu longtemps pour envoyer sa mère, la demander en mariage. Au début, elle était réticente, prétextant qu’il n’était pas son genre, en réponse aux nombreuses questions sur ses hésitations. Mais la situation de Réda était alléchante et Razika voulait vivre dans une protection financière envieuse. Elle abdiqua après qu’il eut fait de nombreuses concessions, tellement il la voulait. Réda a fini par l’épouser, malgré l’opposition de sa mère.
À l’intérieur de la voiture, l’air était devenu irrespirable, pollué par la fumée. Il sortit. Dehors, la fraîcheur de la nuit le revigora, et lui remit les idées en place. Cette situation le tourmentait tellement qu’elle l’encourageait même à mûrir l’idée de se remarier. Après avoir terminé sa troisième cigarette d’affilée, il rentra chez lui, décidé à mettre un terme à ce calvaire en expliquant gentiment à sa femme, que si la situation perdure, il se remarierait.
Mais, dès qu’il la vit dans sa magnifique robe de chambre, tout s’effaça d’un coup. Il soupira et se mit à table. Zahia la servante, lui servit son dîner. Il le repoussa doucement du revers de sa main. Razika le remarqua.
— tu as dîné chez ta mère, Lui dit-elle d’un ton presque autoritaire.
— oui! Murmura Réda, sans la regarder dans les yeux.
— bien sûr, elle n’a pas raté une si belle occasion pour te remonter contre moi.
— non! Razika, tu te trompes, elle s’inquiète de ne pas nous voir heureux en élargissant la famille par un bébé.
Razika le coupa net
— je connais ta mère Réda! Alors écoute-moi bien! je suis à ma cinquième grossesse et au bout du parcours, demain ou après-demain on sera fixé. Si cette grossesse suivrait les autres. C’est moi qui demanderais le divorce. Ta mère sera aux anges et toi tu n’auras plus de soucis pour te remarier.
— ne sois pas stupide, Razika! On n’en est pas encore arrivé là! Ménage-toi au moins!
Elle s’engouffra dans sa chambre en claquant la porte. Muette, Zahia écoutait les bras croisés, Réda se tourna vers elle et hurla.
— pourquoi tu restes plantée là? Suis-la et surveille-la.
Zahia était sa servante et sa confidente. Elle ne s’était jamais mariée, mais elle se plaisait dans sa solitude. Elle entra dans la chambre, et s’approcha de Razika pour la consoler, car elle pleurait. Puis, elle lui murmura quelque chose à l’oreille. Razika, s’arrêta de pleurnicher et regarda Zahia, avec stupéfaction.
Selma le Joker
À la maternité de la ville, Selma grondait, sa voix de ténor retentissait dans les couloirs du service des accouchements. L’heure de la visite était terminée. Elle priait les visiteurs à la traîne, de vider les lieux. Tout le monde la craignait et évitait d’avoir des embrouilles avec elle. Selma était grande de taille, le visage bouffi, d’où émergent des lèvres charnues enduites de rouge couleur cramoisi. Quand on la regarde, on a l’impression qu’elle mord une tomate. Déjà les visiteurs se bousculaient devant la porte de sortie pour éviter ses remontrances. Elle se plaisait à déambuler dans les couloirs, en balançant son gros derrière et en claquant son chewing-gum. Quand elle voulut fermer la porte, son visage s’assombrit, Une femme la fixait des yeux, vêtue d’une gandoura noire et un châle de même couleur.
— dis donc, cocotte! L’ordre est valable pour toi aussi, lui dit elle en s’appuyant d’une main contre le mur, une bulle de son chewing-gum au bout des lèvres qu’elle claqua au visage de la femme.
— vous êtes Selma? Lui dit la femme, nullement impressionnée par son attitude provocatrice.
— oui! C’est comme ça que mes amies m’appellent, mais vous n’en êtes pas une, alors que voulez-vous?
— Je voudrais vous proposer un marché, avec au bout une grosse récompense si on arrive à s’entendre, bien sûr. Répondit la femme toujours avec la même nonchalance.
— doucement cocotte! Tu n’es pas envoyée par la police par hasard? Parce que moi et les poulets, on ne s’aime pas trop. Lui souffla Selma méfiante, changeant brusquement de position.
La femme lui sourit et la tira par le bras
— je m’appelle Zahia, je sens qu’on va bien s’entendre toutes les deux, où est ce qu’on pourrait parler tranquillement?
Selma sortit un trousseau de clés, balaya les alentours de ses yeux furtifs, puis ouvrit un petit bureau, et poussa Zahia à l’intérieur.
Un peu plus tard, Zahia quitta l’hôpital d’un pas alerte. Une voiture rutilante l’attendait. Elle descendit devant la villa somptueuse de Réda. Elle gravit les marches du perron rapidement pour éviter de le rencontrer, et entra dans la chambre à coucher. Razika sa patronne l’attendait, alitée en proie à des douleurs abdominales atroces. Ayant terminé sa mission, elle souffla en ôtant sa gandoura et son châle, s’assit sur le bord du lit prés de Razika, et lui dit doucement en lui caressant la main.
— comment vas-tu, Razika? Je t’apporte une bonne nouvelle, la femme a accepté le marché, bientôt, tu n’auras aucun souci à te faire envers ton mari Réda.
— comment as-tu réussi à la convaincre, Zahia?
— c’est l’argent qui ouvre tous les horizons, tout va très bien se passer. Elle l’embrassa sur la joue et ajouta.
— ton mari n’est pas là?
— non! Il m’a appelé, il va être là d’un moment à l’autre.
Deux jours après, Razika sentit des douleurs qui lui déchiraient le bas-ventre, elle appela Zahia. En quelques secondes, elle fut près d’elle. Tout en se tenant le ventre, Razika balbutia, s’appuyant sur sa servante.
— je crois que c’est le moment, Zahia, que dieu me prête assistance.
Au même moment Réda surgit.
— doucement! Zahia, prépare – lui ses affaires, je vais sortir la voiture» puis s’adressant à sa femme.
— ne fais surtout pas de gestes brusques. Cria-t-il, dévalant les escaliers, affolé.
Quelque temps plus tard, Razika était placée en observation à la maternité de la ville. Pendant que son mari remplissait le formulaire de son hospitalisation, Zahia lui préparait sa chambre puis elle chercha Selma. Elle entendit sa voix tonitruante dans la salle d’accouchement.
— alors! Bonhomme! t’as donné les renseignements en bas?
— oui! J’habite au village de Skhouna et ma femme s’appelle Regad Houda, c’est la première fois que je l’emmène ici, Madame.
— Dis-moi, il y a un centre de soin à Skhouna, pourquoi tu as ramené ta femme accoucher ici? Brailla-t-elle en direction du pauvre bougre qui se colla au mur tellement elle était proche de lui.
— On m’a dit qu’il y a de bonnes accoucheuses, et puis c’est sa première grossesse, Madame.
— bravo! Ça, c’est un bon compliment. Puis elle s’arrêta net, voyant Zahia devant la porte de la salle, qui lui faisait signe. Selma écarta l’homme en lui disant.
— c’est bon! Installe ta femme sur ce lit, je reviendrais pour la consulter tout à l’heure.
Elle suivit Zahia. Réda arrive à la rescousse et gueula.
— je t’ai dit de ne pas la laisser seule, si jamais il lui arrive quelque chose, tu le paieras»
Zahia ne lui répondit même pas, elle regarda Selma arriver en trombe et chuchota à l’adresse de Razika.
— voici la responsable du service des accouchements, c’est elle qui va s’occuper de toi». Réda écarta Zahia de ses mains et supplia Selma.
— je vous en prie, Madame! prenez soin d’elle, aidez-la! je vous récompenserais.
— commence par vider les lieux car ici, ce n’est pas la place d’un homme. Prendre soin d’elle, c’est mon boulot.
— d’accord! Madame je vous remercie. Il prit Zahia par le bras et la tira dans un coin, sortit quelques billets et les fourra dans la paume de sa main.
— donne-lui cette récompense après mon départ et fais bien attention, à Razika»
Selma l’oreille aux aguets, l’entendit. Elle roucoula de joie intérieurement et fit mine d’ausculter Razika. Réda embrassa sa femme sur la joue et lui chuchota.
— courage! Ma chérie tout va très bien se passer.
— vous êtes encore là? Je vous ai dit de déguerpir, vous ne pouvez pas rester ici.
— oui! Oui! D’accord! Je m’en vais, Zahia! téléphone – moi dès qu’il y a du nouveau, s’écria-t-il en fermant la porte.
Selma rassura Zahia. Elle lui affirma qu’elle avait tout préparé. Elle lui demanda presque en murmurant.
— t’as apporté l’autre moitié de la somme convenue.
Zahia acquiesça de la tête. Contente, elle sortit en adoptant sa démarche chaloupée, en signe de satisfaction. Un énorme vacarme émanait de la salle d’accouchement, Des gémissements, des appels à l’aide, des prières, tout parvenait d’un coup aux oreilles de Selma. Quand elle ouvrit la porte, curieusement, tout le monde se tut. Elle se dirigea directement vers le seul homme présent dans la salle. Elle tapota sur son épaule et lui dit sévèrement
— retourne chez toi bonhomme! et reviens demain à l’heure de la visite.
Elle claqua des mains pour réunir les sages-femmes et recenser les femmes qui sont sur le point d’accoucher. Selma profita de la présence de la gynécologue qui sortait de chez Houda et lui demanda son avis sur son état de santé.
— elle va accoucher d’un moment à l’autre, il faut la surveiller de près, car elle présente des signes évidents qu’elle pourrait porter des jumeaux.
— des jumeaux! C’est trop beau pour être vrai.
— quoi ! Je n’ai pas bien entendu, Selma.
— non ! Rien! Marmonna-t-elle, je voulais dire que cela pourrait lui faire plaisir.
La gynécologue fit une grimace et entra dans son bureau. Elle ferma la porte au nez de Selma qui haussa les épaules, et continua sa ronde. Elle s’installa ensuite sur un fauteuil, déroula un papier et croqua bruyamment un casse-croûte qu’une visiteuse lui avait remis.
A deux heures du matin Selma assistait Razika. À son grand étonnement, elle accoucha d’un bébé mort-né. Razika éclata en sanglots. Zahia tenta de la consoler, car elle avait piqué une crise de larmes. Elle fourra sa tête dans l’oreiller, secouée par de brusques convulsions Selma fit jouer son expérience et réussit à la calmer.
— écoute ! Cocotte, je maîtrise la situation, tu vas ameuter tout le service par tes gémissements. Personne ne doit voir ce bébé. Zahia ! refais-lui son maquillage; il ne faut pas qu’on la voie dans cet état. Je reviendrais plus tard.
Elle enveloppa le bébé mort dans une couverture et sortit en catimini. Elle le cacha dans son bureau et retourne voir Houda. Elle avait des contractions et gémissait de douleur. Deux infirmières étaient à son chevet. Selma fronça les sourcils et s’esclaffa.
— ça va les filles ! Laissez-la se reposer, je vous appellerais si j’aurais besoin de vous.
Les deux infirmières s’éclipsèrent. Devant la porte, l’une d’entre elles se retourna et rétorqua.
— nous serons dans les parages ou cas ou tu aurais besoin d’aide.
— d’accord! Les filles. Merci!
Selma tira une chaise vers elle et s’assit en face de Houda. Elle sortit ensuite le reste de son casse-croûte et le termina, toujours aussi bruyamment.
— t’inquiète pas! Poulette, Mama Selma est là pour te rassurer.
Une heure plus tard, Houda eut ses premières contractions. Elle suait et haletait. Selma constata qu’elle éprouvait des difficultés à respirer. En femme d’expérience, elle ramena dans la chambre, la bouteille d’oxygène et ses accessoires, puis elle aida Houda à accoucher de deux magnifiques bébés. Elle les déposa sur la table. Elle lui plaça ensuite le masque à oxygène. Elle appela les deux infirmières et leur confie les deux bébés pour les placer dans la couveuse. Puis, profitant du demi-sommeil de Houda provoqué par son insuffisance respiratoire, elle ramena le bébé mort-né de Razika. Elle attendit qu’elle soit consciente, pour lui annoncer la mauvaise nouvelle en essayant d’être plus convaincante
— voila! Dieu est grand! t’as eu des jumeaux, l’un est en bonne santé dans la couveuse, mais son frère n’a pas eu sa chance, il n’a pas survécu.
La femme sursauta en voyant le bébé mort dans les bras de Selma, elle la regarda, Puis elle le prit dans ses bras et l’embrassa sur le front et le serra contre elle en versant quelques larmes. Selma détourna le regard, pour éviter de sombrer dans la compassion. La femme renifla, et le tendit à Selma en lui disant.
— vous savez, c’est toujours trop dur de se séparer de sa chair, mais je suis contente que dieu clément et miséricordieux n’a pas voulu me faire souffrir, il m’en a laissé un, et je le remercie.
— tu diras à ton mari de venir le récupérer à la morgue pour obtenir son constat de décès, je vais te ramener ton autre bébé.
Tard dans la nuit, Selma entra chez Razika avec l’autre bébé dans les bras.
— habille-le vite, et prépare-toi à la visite de ton mari. Voila! Sœurette, mon boulot se termine là, tu vas appeler son mari pour qu’il l’enregistre. On lui délivrera son carnet de vaccin et vous disparaissez, quant à moi, je prendrais la part qui me reste et je m’estomperai.
Zahia prit son sac et sortit une liasse de billet enroulée dans un morceau de journal et la tendit à Selma qui tel un prestidigitateur l’escamota.
Réda bondit de son lit dès que Zahia l’eut appelé pour lui annoncer la nouvelle. En quelques minutes, il était chez Razika, il resta un moment suspendu à son coup, puis il se tourna vers le bébé.
— À ton tour maintenant, mon fils, si tu savais combien de temps, j’ai imploré dieu pour t’avoir. Je t’appellerais Adlane j’ai toujours aimé ce nom.
Il prit le bébé et le souleva au-dessus de sa tête et s’adressa au ciel.
— merci! Mon dieu, merci mille fois! Je suis enfin un homme comblé. Puis, il le posa et appela sa mère.

CHAPITRE DEUX

LES DESTINS CROISES

Vingt ans après, les jumeaux avaient grandi, chacun selon son destin. Adlane vivait dans l’opulence tandis que Cheikh le fils de Houda souffrait de la précarité et la pauvreté. Si Réda gâtait Adlane parce qu’il avait les moyens. Le père de Cheikh était journalier, il travaillait là ou son talent de puisatier était sollicité. Presque tous les puits de Skhouna et ses environs ont été creusés de ses mains. Viré du collège, Cheikh tenta de se lancer dans le commerce et paradoxalement tout lui réussissait. De vendeurs de melons, en passant par la vente des fruits et légumes, son talent pour flairer la bonne affaire était stupéfiant. Grâce à lui, la famille se redressa financièrement et ses deux petits frères ont pu aller à l’école.
Mais un jour, la fatalité frappa douloureusement sa famille. Le père glissa et tomba dans un puits qu’il était en train de creuser. Les deux manœuvres n’ont pas pu le sauver. Cet accident mortel avait complètement bouleversé la vie de Cheikh. Il sombra dans la boisson, et le vol, pour s’occuper tant bien que mal de sa mère et des deux frères. Cette lourde responsabilité l’obligea à commettre de menus larcins, ce qui le conduisit à faire des petits séjours en prison. C’était là, qu’il avait fait la connaissance de Selma la sage-femme qui, licenciée de son poste à la maternité, pour mauvais comportement et entrave à la réglementation hospitalière, a pu trouver un emploi d’infirmière à la prison de la ville, après avoir galéré quelques années. Elle s’est souvenue de lui, car elle avait enregistré l’affiliation des jumeaux à leur naissance, pour sa sécurité. Elle ne faisant pas confiance à Zahia.

La joie de réda
Contrairement à Cheikh, Adlane n’a jamais été inquiété financièrement durant son enfance. À l’école primaire, il était le chouchou des élèves. Les enseignants étaient aux petits soins avec lui. Il ne se déplaçait qu’en voiture. Au lycée, son comportement d’enfants gâté lui a valu plusieurs fois des avertissements de la part de la Direction. Mais son père, au lieu de le moraliser, s’en prenait aux professeurs qu’il jugeait, jaloux de son fils, parce qu’il claquait de l’argent, à son âge. Adlane influençait son père. Sa mère, libérée de la pression qui l’avait auparavant étouffée, l’encourageait à vivre sa vie comme il l’entendait car quelque part dans sa tête, elle le fuyait partant du fait qu’elle n’avait jamais eu beaucoup d’affection pour lui. C’était Zahia qui l’avait élevé. A dix-huit ans, son père lui offrit une voiture comme cadeau d’anniversaire. Ayant échoué au bac, il abandonna le lycée au profit du commerce. Les soirées dans les cabarets se succédèrent, la boisson était devenue habituelle, voire quotidienne. Adlane était devenu trop indépendant, livré à ses lubies. Razika, attristée par la décision des médecins qui lui ont déconseillé d’avoir d’autres grossesses, noyait sa déception dans le plaisir de mordre la vie à pleines dents. Aussi, pour stabiliser son fils, Réda décida de lui ouvrir un magasin de vêtements de haute gamme, qu’il n’occupait guère, préférant s’adonner à ses virées nocturnes ou à sa nouvelle passion: la chasse.

Puis vint le jour qui a fait basculer leur destin. Ayant purgé sa peine en prison Cheikh se préparait à sortir, Selma guettait son passage. Elle l’aperçut, devant la porte, accompagné d’un gardien. Discrètement, elle lui glissa un bout de papier dans la paume de sa main et lui dit.
—si tu veux connaître qui tu es, tu n’as qu’à passer chez moi.
Cheikh regarda sa main, et lui répondit, étonné.
—de quoi tu parles, Selma ?
—tu le sauras quand on sera chez moi, bien sûr, si cela ne te fait pas peur, ironisa Selma.
—celui qui me faisait peur est mort, que dieu ait pitié de son âme, c’était mon père. Mais je viendrai par curiosité.
Au même moment, Adlane se préparait à partir à la chasse. Il enfila sa tenue, et vérifia le sac dans lequel il mit un casse-croûte concocté la veille. Satisfait, il sortit en fermant doucement la porte. Tout en roulant, vers le lieu habituel de chasse, il revivait son escapade nocturne et souriait à chaque fois qu’une de ses clowneries remontait dans son esprit. Il arriva près de la forêt de Tamet, une région escarpée, boisée de maquis et d’églantiers. Il gara sa voiture en bordure de la route sous un arbre et descendit. L’air frais du matin, lui fit du bien, car il sentait encore l’effet de la boisson ingurgitée la veille. Le fusil en bandoulière, il releva son col et s’enfonça dans la forêt. Le silence était pesant, troublé par des coups de feu, lointains de quelques chasseurs.
Après quatre heures de marche, bredouille, Adlane décida de se reposer sur une crête qui surplombait le village de Skhouna. Du haut de son perchoir, il contemplait le merveilleux paysage ou nichait le village en bas, au milieu de la forêt. Il ouvrit son sac et sortit son thermos pour se verser un peu de café. Au moment où il porta la tasse à sa bouche, il entendit un sifflement. En se retournant, Adlane vit à ses pieds, un grand serpent onduler entre deux rochers. Comme il avait une aversion particulière pour les reptiles, il sursauta en faisant un bond en arrière. Son pied glissa provocant ainsi sa chute. Sa tête heurta une pierre et il sombra dans le néant.

L’ACCIDENT

Ameur et Miloud, deux maraudeurs et voleurs de bétail rôdaient dans les parages. Ils avaient l’habitude de passer leur temps sur cette crête ; Alertés par le cri de Adlane, ils se précipitèrent dans sa direction. En arrivant sur les lieux, ils découvrirent un corps étendu quelques mètres plus bas, Ameur, plus prompt descendit et s’arrêta devant son corps inanimé. Miloud, effrayé lui dit.
— tu crois qu’il est mort ?
— non ! lui répondit Ameur en levant la tête, il bouge.
— on va lui prendre ses affaires avant qu’il ne se réveille, et on file d’ici pendant qu’il n’y a personne aux alentours
Adlane, encore assommé, tenta de se relever le visage en sang. Une douleur lui perforait la poitrine Miloud voulait lui parler mais Ameur lui fit signe de se taire. Adlane tressaillit de froid et sentit qu’il n’avait rien sur lui, à part son caleçon. Le soleil dans les yeux, Il discerna deux ombres qui s’agitaient à ses pieds. Il réussit à marmonner.
— qui êtes-vous ? pourquoi suis-je en caleçon ?
Les deux voleurs de bétail emportèrent leur butin et détalèrent en descendant la pente.
—Attendez! Aidez-moi, je ne peux pas bouger. Cria-t-il à leur intention, mais ils étaient déjà loin.

Atone, il regarda autour de lui et ne vit personne La peur commençait à l’envahir. Il réussit à arracher un cri de désespoir, mais seul le sifflement des branches fouettées par le vent lui parvinrent à l’oreille. Il tenta de forcer son esprit et l’obliger à enclencher les « tâches » qui ont été oubliées, mais tout était bloqué. Adlane paniqua parce qu’il ne se souvenait plus de rien. Après presque une heure de marche, ramassé sur lui-même, les mains serrant sa poitrine, il s’arrêta au bord du sentier, s’adossa à un arbre, et attendit. La fatigue, la douleur et la faim en sont venus à bout. Doucement, il s’assoupit. Peu après, il sentit des mains vigoureuses le soulever, puis c’était le néant de nouveau.


Adlane, l’autre homme.

À son réveil il fut encore plus surpris par le nombre de personnes venues le soutenir au centre de santé du village. Houda pleurait à son chevet.
—qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi tous ces gens sont-ils autour de moi et qui êtes-vous ? S’écria Adlane en se tordant de douleur, la main collée sur sa poitrine et la tête enveloppée par un bandage.
Houda, regarda ses voisins, aussi étonnés qu’elle. Elle leva ses mains au ciel en hurlant.
— mon fils ne m’a pas reconnu. Regarde-moi bien ! Cheikh, je suis Houda ta mère et ceux-là sont tous tes amis. Ils sont venus te voir, car ils s’inquiètent sur ton état de santé.
— mes amis ? Mais je ne connais aucun d’entre eux, même vous. S’exclama Adlane en pointant Houda du menton. Le docteur se fraya un chemin jusqu’à lui.
— Dis-nous Cheikh ! Qui est-ce qui t’a fait ça ? C’est grâce à ces gens que tu es ici. Ils t’ont retrouvé à moitié mort de froid à quelques kilomètres du village, tu te souviens de quelques choses ?
— j’ai entendu seulement des voix, mais je ne me souviens de rien, et je ne sais même pas où je suis, ni qui je suis.
— allez, tout le monde dehors! Cria un gendarme en pénétrant dans la salle, suivi de deux autres. Il se planta devant le Docteur et lui dit.
— Qui est cette femme ? Houda se leva de sa chaise et lui répondit, en pleurant.
— je suis sa mère monsieur le gendarme, je ne sais pas ce qui est arrivé à mon fils, il est étrange, il m’avait dit qu’il allait sortir de prison aujourd’hui. Je l’ai attendu toute la matinée. Voilà comment je le retrouve.
Le gendarme le scruta et s’adressa au Docteur.
— j’ai tout l’impression qu’on est devant un cas d’agression physique. C’est peut-être un règlement de compte puisque sa mère dit qu’il venait de sortir de prison. Est-ce qu’il peut répondre à quelques questions ? Il a ses papiers ?
— On l’a trouvé en caleçon, il n’avait rien sur lui, vraisemblablement, il a fait une chute qui lui a causé cette blessure à la tête et à la bouche. Il a trois côtes cassées. C’est peut-être pour ça qu’il ne se souvient de rien. À mon avis, il ne peut pas vous répondre, moi ! Je privilégie le vol.
— bon! On va prendre la déposition de ceux qui l’ont trouvé.
— je voudrais que seuls ceux qui l’ont ramené ici restent. Tous les autres peuvent sortir » Adlane les regarda ébahi, la main serrant toujours serrant sa poitrine. Houda l’embrassa sur la joue et dit au Docteur.
—est-ce qu’il va guérir docteur ?
—de ses blessures, certainement, Madame, mais sa mémoire est figée, seuls une rééducation et le temps pourraient lui permettre d’atténuer les symptômes ou de lui apprendre à se réapproprier ses souvenirs « oubliés ». Il restera ici en observation et demain s’il n’y aurait aucune complication, il pourra rentrer chez lui.


Dans la forêt, après une course folle, les deux voleurs, s’arrêtèrent sous un arbre et comptèrent leur butin. Ameur, le plus âgé fouilla le portefeuille de Adlane et trouva ses papiers et une certaine somme d’argent. Comme il ne savait pas lire, il déposa les papiers de côté et compta les billets. Puis il dit à son compère Miloud.
 —on fera le partage dès qu’on aura tout vendu et il remit tout dans le sac,
— prends le fusil avec toi. Ajouta-t-il et ils repartirent. Ameur devança son pote, puis tout en marchant à reculons il lui dit.
— nous allons chercher la voiture puisqu’on a les clés, il se pourrait qu’on trouve autre chose de plus intéressant. La voiture doit être garée quelque part le long de la route, c’est comme ça que font généralement les chasseurs. On va la longer discrètement pour la retrouver. Il ne leur fallait pas beaucoup de temps pour atteindre la voiture, visible de loin. Ils s’approchèrent doucement et scrutèrent les alentours. Ameur, plus entreprenant, posa le sac à côté de la voiture et dit à son compère.
—tu vas te poster sous cet arbre, là-bas ! et me prévenir si tu vois quelqu’un ? 
— et qui me dit que tu ne vas pas filer avec le butin, Ameur.
—tu n’es qu’un imbécile, Miloud, j’ai encore besoin de toi ?

LE RETOUR DE CHEIKH

Pendant ce temps, Cheikh humait l’air de la liberté. Il faisait un temps splendide. Il avait hâte de retrouver sa famille, surtout sa mère. Lors de la dernière visite, il l’avait informé du jour de sa sortie. Cheikh s’étira et plongea la main dans sa poche pour extraire quelques billets froissés. Il fit la moue. Il n’avait pas grand-chose, tout juste de quoi déguster un café et payer le trajet en bus pour rentrer chez lui. Il prit le bout de papier mêlé avec les billets et le lit. L’adresse de Selma écrite grossièrement le fit sourire. Il s’attabla dans un estaminet et commanda un café pressé en attendant l’arrivée du bus. Le bus arriva enfin, il grimpa juste derrière le chauffeur. Il n’y avait pas beaucoup de monde. Le bus ne tarda pas à démarrer. Le chauffeur était très bavard. Il parlait de tout et de rien. Cheikh ennuyé, ne lui répondait que par des grognements. Bercé par le ronronnement du moteur, il s’endormit, mais fut réveillé de sa torpeur par l’éclat de voix du chauffeur qui s’arrêta de cancaner et s’écria.
—mais je connais ces deux loustics à côté de cette voiture, elle ne leur appartient sûrement pas. Ce sont des bandits notoires qui habitent le village voisin. Cheikh se pencha à travers la vitre. Il vit deux personnes affolées qui tentaient de dissimuler leurs intentions en voyant le bus. Il se leva et pria le chauffeur d’arrêter le bus pour qu’il puisse descendre.
—fais attention avec ce genre d’énergumènes, jeune homme, ils sont imprévisibles. Lui cria le chauffeur.
—ne vous en faites pas pour moi, j’en ai connu des pires.
Dès que le bus s’arrêta, les deux voleurs prirent leurs jambes à leur cou en se faufilant à l’intérieur de la forêt. Dans leur précipitation et par peur d’être interceptés, ils abandonnèrent leur butin. Cheikh fit signe au chauffeur de repartir. Le bus redémarra en vrombissant lâchant derrière lui un nuage de fumée. Cheikh toussa, respira à fond et descendit vers la voiture. Il prit le sac, les clés étant suspendues à la portière, il l’ouvrit et s’assit sur le siège avant. En le fouillant, il retira la somme d’argent et examina les papiers. Il faillit tomber à la renverse en ouvrant la carte d’identité. Le propriétaire du véhicule et lui se ressemblaient comme deux gouttes d’eau. La photo sur le permis de conduire captiva son attention. La comparaison était frappante. Qui cela peut-il être ? Se demandait-il. Fasciné par cette trouvaille, il n’entendit pas la voiture de la gendarmerie s’arrêter au bord de la route. l’un d’eux descendit et appela Cheikh.
— Le chauffeur du bus nous a informé que des voleurs ont essayé de prendre cette voiture. C’est la vôtre. Vous avez les papiers ?
Instinctivement, il lui tendit les papiers qu’il avait encore entre les mains, en tremblant. Le gendarme les examina soigneusement, regarda Cheikh quelques secondes puis, les lui rendit en le conseillant.
— Faites gaffe la prochaine fois et ne garez pas dans des endroits isolés.
Cheikh fit un effort considérable pour paraître normal. Le gendarme lui dit.
— ça va ! Il ne te manque rien.
— non ! Non ! Tout est en ordre. Balbutia Cheikh en saluant le gendarme qui remonta dans son véhicule.
Il mit un long moment pour récupérer, car son cœur battait la chamade. Il se rappela des paroles de Selma, et retira de sa poche le bout de papier sur lequel figurait son adresse. Il n’y a qu’elle qui pourrait satisfaire ma curiosité se disait-il. Il jeta le sac et le fusil dans la malle et garda l’argent et les papiers. Puis il monta dans la voiture et revint en ville.


Chapitre Trois.

L’AVEU

Cheikh trouva rapidement la demeure de Selma. Elle habitait un quartier populeux, à la périphérie de la ville. Dès qu’il stoppa la voiture, une nuée de bambins est venue à sa rencontre en criant et en applaudissant. Il les chassa gentiment et chercha l’appartement de Selma. Elle vivait dans un deux pièces au deuxième étage d’un vieil immeuble. Dès qu’elle le vit, ses yeux brillèrent et elle étala ses lèvres charnues en guise de sourire.
— t’es quand même venu ! Entre ! Ce n’est pas le palace, mais tu peux te mettre à l’aise. Un café, parce que c’est tout ce que j’ai à t’offrir.
— non ! Lui répondit Cheikh, mais si tu as quelque chose à manger je veux bien, je n’ai rien pris depuis ce matin.
— Il me reste deux tranches de pizza, je vais te les apporter. Lui dit-elle en pénétrant dans sa minuscule cuisine pour réapparaître quelques secondes après avec un plat et un verre de lait.
— alors ! Qu’est-ce qui s’est passé ? Tu es tout pâle, on dirait que tu as vu un fantôme.
Sans lui répondre, il lui tendit les deux pièces d’identité. Elle les prit et les examina.
— dis-moi, qui est ce bonhomme sur la photo ? Lui dit-il.
Selma s’enfonça dans son fauteuil et lui répondit, sans détour.
— c’est quelqu’un qui te ressemble, mais c’est une longue histoire. Cheikh faillit s’étrangler, il déposa la tranche de pizza et fixa Selma des yeux.
— j’ai tout mon temps, rétorqua Cheikh. Selma poussa un grand soupir et lui raconta son plan.
Cheikh l’écoutait tout en rongeant ses ongles. Il essuya une larme qui coulait doucement sur sa joue. Impassible, il hocha la tête et lui dit.
— c’est donc toi, qui as tout fomenté. Je pourrais te tuer à l’instant.
Sans être effrayée, Selma s’excusa et justifia son comportement par le fait qu’elle a été alléchée par l’argent dont elle avait cruellement besoin.
— il faut que j’aille voir ce qui se passe au village, mon frère est peut-être mort et moi, j’ai lâché ses assassins.
— non ! C’est à moi, d’aller jeter un coup d’œil, n’oublie pas que tu sors de prison et que tu as des trucs qui lui appartiennent, s’il lui arrive malheur par hasard, c’est toi qu’on accuserait, parce que personne ne sait que c’est ton frère. Je reviendrais dans deux heures si tout va bien. Restes ici et repose-toi en m’attendant. Je te préviendrais s’il y a quelque chose qui cloche, je voudrais avoir le cœur net.
Cheikh fouilla maladroitement dans sa poche et tira les billets d’argent.
— tiens ! Donne cet argent à ma mère pour qu’elle prenne soin de mes frères.
Selma prit un taxi et se dirigea vers Skhouna qui se trouvait à une demi-heure de route. L’unique centre de santé se trouvait au cœur du village. Elle pénétra dans la salle de soins et vit quelques jeunes, massés autour du lit de Adlane. La gendarmerie faisait toujours son enquête en recueillant les dépositions et en interrogeant les gens. Elle bouscula au passage deux jeunes hommes et s’écria.
— Cheikh ! Qu’est-ce que tu as ? Tu es blessé ?. Le gendarme se retourna et lui dit.
— vous le connaissez madame ?
— oui ! C’était un ex – détenu libéré ce matin. Ah ! Excusez-moi ! Je me présente, je m’appelle Selma, je suis infirmière à la prison de la ville. Il était malade, je l’avais soigné en détention, il souffrait de troubles de la mémoire, je suis venu me rassurer s’il était bien rentré chez lui.
— vous avez une idée sur les raisons de cette agression parce que cela m’a tout l’air d’en être une. Lui dit le gendarme en triturant son carnet.
— non ! Moi je pencherais plutôt pour une chute. On vient de me dire qu’on l’a trouvé inanimé, presque nu et qu’on lui avait tout prit. Lui répondit laconiquement Selma. Si vous avez besoin de moi, vous savez où me trouver, vous avez l’habitude de nous rendre visite.
Selma appela Houda et lui glissa l’argent dans sa main. Croyant que c’est une aide substantielle de sa part, elle la remercia. Puis, Selma reprit le chemin du retour. Elle trouva Cheikh assoupi. Il se réveilla en se frottant les yeux.
— alors ! Que s’est-il passé ? Se hâta-t-il de dire.
— Il est mal en point, mais il survivra, il a bel et bien été volé par ces voyous, mais je crois qu’ils l’ont fait après une chute, il ne se souvient de rien. Grand dieu ! Il te ressemble tellement qu’on dirait que c’est toi. Tout le monde l’avait pris pour Cheikh, y compris ta mère.
— J’ai trouvé un fusil, une tenue de chasse, et des godasses, ils sont dans la malle, cela veut dire qu’il était à la chasse. Ce n’était pas une agression, il était armé. Dieu ne te pardonnera jamais ce que tu as fait.
— mais, lui dit-elle j’ai au moins sauvé ton frère de la misère, imagine que s’il avait vécu avec vous. Vous souffrirez encore plus, toi et ta famille. Cela me donne une idée. J’ai un moyen de leur faire payer ce qu’ils vous ont fait endurer.
— épargne-moi tes combines, Je me contenterais de la vie que dieu m’a prescrite.
— ce n’est pas du vol, tu vas remplacer ton frère et vivre sa vie en attendant qu’il retrouve sa mémoire. Ils ne verront rien, l’essentiel est que tu ne fasses pas de gaffes. Maintenant c’est toi l’amnésique. Tu n’as rien à craindre. Tu ne connais rien du passé de Adlane. Ce serait très facile pour toi de jouer ce rôle Autre chose importante Adlane a été toujours un enfant gâté, tu n’as qu’à faire le capricieux, ils te laisseront tranquille, surtout sa mère. Cheikh se redressa.
— pourquoi sa mère ?
— elle est lointaine, c’est Zahia, ta nounou. Elle s’est toujours occupée de toi.

La Tentation de Cheikh

Selma lui dévoila son plan. Cheikh resta un moment immobile, puis il leva sa tête, se lâcha sur son fauteuil, et lui répondit.
— je suis d’accord, à une seule condition, tu iras en tant qu’infirmière lui rendre visite chaque semaine et voir s’il ne manque de rien ».
Selma roucoula, comme à son habitude lorsqu’elle flaire une bonne affaire. Elle prit son téléphone et forma un numéro.
— Larbi, espèce de vieux fainéant, rapplique tout de suite chez moi, j’ai besoin de toi.
Cheikh bondit de son fauteuil
— doucement l’infirmière ! Qui est ce Larbi ?
— ne t’emballe pas ! c’est un ami qui pourra t’aider à entrer dans le giron de la famille de Réda. Attention ne le met pas au parfum.
Cheikh se rassit et attendit quelques minutes, pour voir entrer un petit homme chétif, au teint mat qui frétille d’impatience.
— alors ! Me voici ! qu’est-ce que tu es en train de manigancer, Selma ?
— ferme-là et écoute-moi bien, je te présente Cheikh, tu peux dire que c’est un fils pour moi. Tiens ! Ce sont les papiers de son véhicule, il a perdu la mémoire, tu vas le ramener chez lui, en expliquant à sa famille que tu l’as rencontré par hasard dans la forêt de Tamert, blessé et désorienté, il ne savait plus qui il était et ou est ce qu’il se trouvait. En consultant ses papiers, Tu as pu localiser sa voiture et tu l’as ramené chez lui. Attention c’est tous que tu leur diras et reviens m’informer. S’ils essaient de te retenir pour une déposition auprès de la police, tu refuses en leur expliquant que tu as fait ce qu’il fallait faire. Descends ! Ramène-moi la tenue de chasse et les godasses ».
— qu’est-ce que je gagnerais dans tout cela ? Demanda Larbi, en esquissant un geste bizarre pour dérider Selma.
— tu auras ta récompense habituelle avec, en plus, un petit bonus. Lui répondit Selma. Puis elle s’adressa à Cheikh.
— allez ! Debout ! À partir d’aujourd’hui, tu es Adlane et tu enterreras Cheikh, enfile la tenue de chasseur, il faut que tu grossisses légèrement, dieu tout puissant ! On dirait l’homme sur la photo. Maintenant tourne-toi.
Selma, lui assena un coup à la tête avec le bas d’un verre. Cheikh vacilla, furieux, il attrapa Selma par le cou.
— qu’est-ce qui t’a pris Salope ! Pourquoi tu m’as frappé ? Selma, nullement impressionnée, le repoussa sur le fauteuil.
— comment vas-tu justifier le sang qu’il y a sur la veste et comment es-tu devenu amnésique, imbécile ! Maintenant, du calme ! je vais te mettre un bandage et te cacher la moitié du visage, laisse le sang couler, dès qu’il séchera vous partirez.

La nouvelle vie des deux frères

Adlane sortit du centre de soins de Skhouna. Son état de santé s’était amélioré un peu. Houda le ramena chez elle. Elle lui prépara son lit et lui donna à manger. Ses côtes lui faisaient mal, il respirait difficilement. Il observa lentement les murs de la pièce et son regard s’attarda sur une photo posée sur un bahut. Houda sourit et lui dit en caressant sa main.
— c’était toi, quand tu avais quinze ans, tu étais très mignon. Il s’allongea sur le lit et lui dit.
— alors je m’appelle Cheikh, et je sors de prison. Qu’est-ce que j’ai fait ?
— quelque chose qu’il ne fallait pas faire. Répondit-elle pour ne pas le vexer.
— ces deux petits chenapans qui me contemplent sont donc mes frères.
— oui ! Ils sont inquiets, parce que tu ne leur as pas parlé depuis deux jours.
— je suis fatigué, je voudrais dormir un peu. Demain , on parlera de cela.

¨Pendant ce temps, Larbi arrêta la voiture, devant la grande villa de Réda. Lui-même ouvrit la porte. Larbi le salua et lui dit.
— je crois que c’est votre fils, il est blessé, je l’ai trouvé dans la forêt de Tamert, c’est grâce à ses papiers que j’ai pu vous localiser. Il me semble qu’il a un problème de mémoire.
Réda faillit tomber à la renverse. Il aida son fils à pénétrer dans le couloir et hurla.
— Zahia ! Razika venez vite ! J’ai besoin de vous.
Les deux femmes dévalèrent l’escalier. En voyant son fils le visage en sang, Razika se frappa la poitrine.
— mon fils ! qui t’as fait ça ? Mon dieu ! Il a du sang partout.
— ça va! ça va ! Je peux marcher tout seul. Ronchonna Cheikh, d’une voix grelottante.
Razika resta un moment, sans voix, elle ne pouvait supporter la vue du sang.
— appelle vite notre médecin, Zahia ! Cria Reda.
Cheikh s’arrêta au bout du palier et regarda autour de lui, feignant d’être perdu. Razika le prit par la main et le conduisit dans sa chambre, tandis que Zahia remit quelques billets à Larbi, et lui dit gentiment.
— c’est juste pour le taxi. On te remercie pour tout ce que tu as fait pour lui. Si jamais on a besoin de toi ou est-ce qu’on pourrait te trouver ?
— au quartier Douda, c’est là que je vadrouille toute la journée, tout le monde me connaît.
Réda encore sous le choc ne constata même pas que le docteur était au chevet de Cheikh. Il déroula le bandage, lava la plaie et essuya le sang qui lui couvrit le visage puis, il lui mit un nouveau pansement. Il se tourna vers ses parents et leur dit.
— il est très éprouvé, laissez-le se reposer, maintenant. La plaie n’est pas grave, mais il se pourrait que le choc lui a fait perdre momentanément la mémoire. En tous les cas, je reviendrais demain pour vous dire si son état nécessite des examens approfondis.
Razika resta un moment, à le contempler.
— tu avais l’habitude de prendre une douche avant de dormir, qu’est ce qui s’est passé ? Tu veux qu’on appelle la police.
— pour leur dire quoi ? Que je suis tombé !
Razika se rendant compte de la stupidité de sa question, lui souhaita bonne nuit et sortit. Cheikh s’allongea sur le lit, les yeux rivés au plafond. Il se demandait dans quel bourbier Selma venait de le fourrer.

Au village de Skhouna, Adlane se réveilla doucement, Houda était déjà debout. Elle accompagna ses deux enfants au seuil de la porte et donna à chacun un bout de pain en leur recommandant de bien se comporter à l’école. Elle entendit tousser et une voix familière la fit sourire.
— bonjour Houda !
— bonjour Papa ! tu n’as pas l’habitude de venir à cette heure, tout va bien !
— prépare tes affaires, je t’emmène chez nous, le temps que ton fils récupère. Tu ne peux pas rester toute seule au village. Ne t’inquiète pas pour les enfants, je les prendrai plus tard, à leur sortie de l’école. Et ne discute pas mes ordres.

Dans la villa de Réda, Cheikh se réveilla de bonne heure, n’étant pas habitué à la douceur du matelas et le confort qui l’entourait. Il fouilla la chambre et trouva des vêtements propres dans la penderie. Il retira un costume, une chemise et des chaussures. Il les posa sur le matelas puis il prit une douche. À sa sortie, il trouva Zahia, debout sur le pas de la porte.
— bonjour ! Mon petit bout de chou, tu es réveillé, je t’apporte ton petit déjeuner, car le docteur va bientôt venir pour t’emmener faire une radio.
— je serais prêt dans quelques minutes, j’ai besoin de réfléchir, laisse-moi seul, d’abord t’es qui ?
— moi ! Je suis ta seconde mère, Zahia, celle qui t’a élevé depuis que tu n’étais qu’un morceau de chair, tiens voilà ton chat qui vient lui aussi te dire bonjour.
— je n’ai jamais eu de chat, et d’ailleurs je ne les aime pas. Lui répondit-il en s’essuyant le visage avec une serviette. Laisse-moi m’habiller.
Zahia s’éclipsa. En sortant, elle croisa Razika venue elle aussi, voir son fils. Elle mit un doigt sa bouche et l’emmena vers la cuisine.
— je ne voulais pas que tu le déranges, il est en train de s’habiller, tu te rends compte, il n’a même pas reconnu son chat.
— je me suis informé sur ce cas d’amnésie, et on m’a dit que c’est passager. Il suffit de lui rappeler les endroits qu’il fréquentait et les objets qu’il aimait. Enfin, le familiariser avec l’environnement dans lequel il a appris toutes ses habitudes.
Pendant ce temps Cheikh feuilletait un album photo, il se coiffa de la même manière que son frère et sortit. Le médecin l’attendait. Zahia les accompagna.
En revenant, toute souriante elle informa Razika que son fils n’a rien de grave et qu’il n’avait aucune lésion cependant pour retrouver la mémoire il lui faut de la patience. Puis elle rajouta.
— Le docteur nous a recommandé d’éviter de lui rappeler qu’il était malade, de le laisser faire des efforts et ne pas totalement l’assister. Demain je lui donnerais les clés de son magasin.
— fais comme le docteur t’a dit Zahia, l’essentiel est que je ne change pas mes habitudes pour quelque chose qui se guérit avec le temps ». Zahia fronça les sourcils.
— dis-moi la vérité Razika, cela fait combien de temps qu’on est ensemble. J’ai vécu toute ma vie ici. C’est moi qui l’ai élevé. Tu n’as pas beaucoup d’affection pour lui, tu es lointaine, et parfois même tu le fuis. Pourquoi ?
— c’est peut-être vrai, mais je fais ce que je peux. J’ai toujours eu en tête qu’il n’a servi qu’à sauver mon mariage. Je ne peux pas mentir à moi-même.
— ton narcissisme va te détruire, un jour, Razika.
— en tous les cas, il ne m’empêchera pas de vivre ma vie et par voie de conséquence, toi aussi tu en profites, n’est-ce pas ? Zahia offusquée, se retira dans la cuisine.
Après sa visite médicale, Cheikh s’assit sur son lit et regarda le plateau déposé sur la commode contenant son déjeuner. Zahia frappa à la porte et entra.
— c’est ton plat préféré, je voudrais que tu manges, pour te sentir mieux et rases toi la barbe. Demain je te donnerais les clés de ton magasin. Il faut bien que tu te remettes au travail. C’est là que tu mettais toutes ta paperasse. Lui dit-elle, en lui montrant, une armoire à glissière.
— merci ! c’est gentil lui répondit – il, en essayant de bien mesurer ses mots.
— tu n’as pas à me remercier tu es presque mon fils. Ajouta Zahia, en fermant doucement la porte. Dans l’armoire, il trouva une petite caisse, dans laquelle il y avait une grosse somme d’argent et tous les papiers du magasin.

À la ferme du grand-père ou il venait de s’installer, Adlane se promenait au milieu des arbres, suivi de son petit frère. Il découvrait les lieux et errait tout en mâchouillant une brindille. De loin sa mère le suivait du regard. Parfois, il entamait un soliloque, ponctué de gestes bizarres, comme s’il essayait de convaincre quelqu’un. Sa tête lui faisait encore mal, et ses côtes l’empêchaient de respirer convenablement. Avec l’argent que Selma lui a donné, Houda l’avait emmené, consulter un neurologue qui l’avait rassuré. Son fils n’avait rien de grave à la tête, mais elle doit être patiente et prudente avec lui. Adlane s’assit à l’ombre d’un grand églantier et taquina un chien qui proposait sa disponibilité à jouer. Il s’amusait en lui jetant des petites pierres. Son jeune frère le ravitaillait en munitions. Il sentit que le silence et la solitude lui faisaient du bien. Au bout d’une heure, Houda les rejoignit avec une galette de pain et une assiette contenant du beurre mélangé avec du jus de dattes. Cheikh apprécia le geste de sa mère et se gava de ce mets exquis.

Dans la peau de Adlane

Trois mois se sont écoulés, depuis l’accident de Adlane. Cheikh ayant pris possession du magasin, modifia complètement le décor, et chassa les amies de son frère qui avaient l’habitude de l’accompagner dans ses virées. Il changea de look en se laissant pousser la barbe. Son sens du commerce lui permit d’avoir d’autres relations et son magasin prospéra. Régulièrement, il confie à Selma, une somme d’argent qu’elle remettait à Houda pour prendre en charge Adlane et ses petits frères. Réda, satisfait du comportement de Cheikh qu’il prenait toujours pour son fils, ne voulait pas s’immiscer dans ses affaires, préoccupé par ses chantiers. Razika était presque tout le temps chez sa mère. Elles voyageaient ensemble. Seule Zahia était proche de lui. Une fois, ils étaient seuls dans la villa, Cheikh fumait une cigarette dans la cour et Zahia l’observait du haut d’un balcon. Elle constata que le chien de garde grognait et aboyait en reculant à chaque fois que Cheikh s’approchait de lui. Le chien ne l’avait pas reconnu. Cheikh prit conscience de son erreur, mais c’était trop tard, du coin de l’œil, il vit Zahia se dérober derrière le rideau de son balcon.

À la ferme, Adlane reprenait ses forces, intrigué par une image qui lui apparaissait comme un flash, celle d’une devanture d’un magasin. Il essayait toujours de s’accrocher à cette vision pour chercher une explication, mais il ne réussissait pas, malgré des efforts considérables qui l’épuisaient. La venue de Selma le réjouit, il alla à sa rencontre.
— bonjour, Selma ! Tu m’as apporté mes cigarettes ! Elle lui répondit en souriant.
— bien sûr! Je vois que tu te portes bien, Cheikh !
— oui ! Je commence à m’habituer au grand air, cela s’améliore puisque je vois de temps en temps des flashs qui apparaissent comme des éclairs dans ma mémoire.
— c’est une bonne nouvelle, Cheikh ! Cela veut dire que tu vas bientôt guérir.
Pensif, il laissa errer son imagination, puis il lâcha d’un coup.
— j’ai peur de ce que je vais découvrir, Selma ;
Elle eut un pincement de cœur et réussit à dévier la conversation.
— Si tu as besoin d’autres choses, dis-le-moi !
— non ! Mais la prochaine fois si tu veux bien, tu m’emmèneras en ville. J’ai envie de voir du monde.
— aucun problème, je passe saluer ta mère et je repars. À la prochaine, alors !
Durant tout le trajet du retour, Selma avait senti une boule en travers de la gorge qui l’empêchait de réfléchir.  A  SUIVRE.














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