UN
BÉBÉ
À
TOUT PRIX
Réda
arrêta sa voiture devant la porte de sa villa. Il resta un moment
les yeux fermés et alluma une cigarette. La voix de sa mère
résonnait encore dans sa tête.
— Réda!
Mon fils, il faut te réveiller, tu ne peux pas rester toute ta vie
sans enfants. Razika n’a pu te rendre heureux en te donnant un
bébé. Si ce n’est pas un accouchement prématuré, c’est un
bébé mort-né. Tu l’as épousé sans mon consentement, et j’ai
fermé l’œil. Maintenant, si cette grossesse n’irait pas à son
terme ou qu’elle accoucherait d’un bébé mort-né, tu dois
songer à te remarier. Je voudrais tenir ton fils dans mes bras, je
ne vais pas vivre éternellement»
Petit
entrepreneur dynamique et travailleur, Réda se demandait comment
lui, qui a réussi à développer son entreprise de construction
de bâtiments, par la force de son caractère et la sueur de son
front, ne peut aujourd’hui s’extirper sans dommage de ce bras de
fer entre sa femme et sa belle-mère. Certes, son aisance financière
a été propulsée par une conjoncture économique favorable. Mais,
il avait réussi à déjouer tous les tracas administratifs avec une
facilité déconcertante bien qu’il travaillait à la lisière de
la réglementation. Ce qui lui a permis de tisser de bonnes relations
qui ont fait fructifier ses affaires en amassant une petite fortune.
Mais la nature, parfois capricieuse, l’avait privé du bonheur
d’être père.
Tassé
au fond du fauteuil de sa voiture, il se remémora le jour ou il
avait rencontré Razika, par hasard dans une supérette. II a été
subjugué par sa beauté. Il n’a pas attendu longtemps pour envoyer
sa mère, la demander en mariage. Au début, elle était réticente,
prétextant qu’il n’était pas son genre, en réponse aux
nombreuses questions sur ses hésitations. Mais la situation de Réda
était alléchante et Razika voulait vivre dans une protection
financière envieuse. Elle abdiqua après qu’il eut fait de
nombreuses concessions, tellement il la voulait. Réda a fini par
l’épouser, malgré l’opposition de sa mère.
À
l’intérieur de la voiture, l’air était devenu irrespirable,
pollué par la fumée. Il sortit. Dehors, la fraîcheur de la nuit le
revigora, et lui remit les idées en place. Cette situation le
tourmentait tellement qu’elle l’encourageait même à mûrir
l’idée de se remarier. Après avoir terminé sa troisième
cigarette d’affilée, il rentra chez lui, décidé à mettre un
terme à ce calvaire en expliquant gentiment à sa femme, que si la
situation perdure, il se remarierait.
Mais,
dès qu’il la vit dans sa magnifique robe de chambre, tout s’effaça
d’un coup. Il soupira et se mit à table. Zahia la servante, lui
servit son dîner. Il le repoussa doucement du revers de sa main.
Razika le remarqua.
— tu
as dîné chez ta mère, Lui dit-elle d’un ton presque autoritaire.
— oui!
Murmura Réda, sans la regarder dans les yeux.
— bien
sûr, elle n’a pas raté une si belle occasion pour te remonter
contre moi.
— non!
Razika, tu te trompes, elle s’inquiète de ne pas nous voir heureux
en élargissant la famille par un bébé.
Razika
le coupa net
— je
connais ta mère Réda! Alors écoute-moi bien! je suis à ma
cinquième grossesse et au bout du parcours, demain ou après-demain
on sera fixé. Si cette grossesse suivrait les autres. C’est moi
qui demanderais le divorce. Ta mère sera aux anges et toi tu n’auras
plus de soucis pour te remarier.
— ne
sois pas stupide, Razika! On n’en est pas encore arrivé là!
Ménage-toi au moins!
Elle
s’engouffra dans sa chambre en claquant la porte. Muette, Zahia
écoutait les bras croisés, Réda se tourna vers elle et hurla.
— pourquoi
tu restes plantée là? Suis-la et surveille-la.
Zahia
était sa servante et sa confidente. Elle ne s’était jamais
mariée, mais elle se plaisait dans sa solitude. Elle entra dans la
chambre, et s’approcha de Razika pour la consoler, car elle
pleurait. Puis, elle lui murmura quelque chose à l’oreille.
Razika, s’arrêta de pleurnicher et regarda Zahia, avec
stupéfaction.
Selma
le Joker
À
la maternité de la ville, Selma grondait, sa voix de ténor
retentissait dans les couloirs du service des accouchements. L’heure
de la visite était terminée. Elle priait les visiteurs à la
traîne, de vider les lieux. Tout le monde la craignait et
évitait d’avoir des embrouilles avec elle. Selma était
grande de taille, le visage bouffi, d’où émergent des lèvres
charnues enduites de rouge couleur cramoisi. Quand on la regarde, on
a l’impression qu’elle mord une tomate. Déjà les visiteurs se
bousculaient devant la porte de sortie pour éviter ses remontrances.
Elle se plaisait à déambuler dans les couloirs, en balançant son
gros derrière et en claquant son chewing-gum. Quand elle voulut
fermer la porte, son visage s’assombrit, Une femme la fixait des
yeux, vêtue d’une gandoura noire et un châle de même couleur.
— dis
donc, cocotte! L’ordre est valable pour toi aussi, lui dit
elle en s’appuyant d’une main contre le mur, une bulle de son
chewing-gum au bout des lèvres qu’elle claqua au visage de la
femme.
— vous
êtes Selma? Lui dit la femme, nullement impressionnée par son
attitude provocatrice.
— oui!
C’est comme ça que mes amies m’appellent, mais vous n’en êtes
pas une, alors que voulez-vous?
— Je
voudrais vous proposer un marché, avec au bout une grosse
récompense si on arrive à s’entendre, bien sûr. Répondit
la femme toujours avec la même nonchalance.
— doucement cocotte!
Tu n’es pas envoyée par la police par hasard? Parce que moi
et les poulets, on ne s’aime pas trop. Lui souffla Selma méfiante,
changeant brusquement de position.
La
femme lui sourit et la tira par le bras
— je
m’appelle Zahia, je sens qu’on va bien s’entendre toutes les
deux, où est ce qu’on pourrait parler tranquillement?
Selma
sortit un trousseau de clés, balaya les alentours de ses yeux
furtifs, puis ouvrit un petit bureau, et poussa Zahia à l’intérieur.
Un
peu plus tard, Zahia quitta l’hôpital d’un pas alerte. Une
voiture rutilante l’attendait. Elle descendit devant la villa
somptueuse de Réda. Elle gravit les marches du perron rapidement
pour éviter de le rencontrer, et entra dans la chambre à coucher.
Razika sa patronne l’attendait, alitée en proie à des douleurs
abdominales atroces. Ayant terminé sa mission, elle souffla en ôtant
sa gandoura et son châle, s’assit sur le bord du lit prés de
Razika, et lui dit doucement en lui caressant la main.
— comment
vas-tu, Razika? Je t’apporte une bonne nouvelle, la femme a accepté
le marché, bientôt, tu n’auras aucun souci à te faire envers ton
mari Réda.
— comment
as-tu réussi à la convaincre, Zahia?
— c’est
l’argent qui ouvre tous les horizons, tout va très bien se passer.
Elle l’embrassa sur la joue et ajouta.
— ton
mari n’est pas là?
— non!
Il m’a appelé, il va être là d’un moment à l’autre.
Deux
jours après, Razika sentit des douleurs qui lui déchiraient le
bas-ventre, elle appela Zahia. En quelques secondes, elle fut près
d’elle. Tout en se tenant le ventre, Razika balbutia, s’appuyant
sur sa servante.
— je
crois que c’est le moment, Zahia, que dieu me prête assistance.
Au
même moment Réda surgit.
— doucement!
Zahia, prépare – lui ses affaires, je vais sortir la voiture»
puis s’adressant à sa femme.
— ne
fais surtout pas de gestes brusques. Cria-t-il, dévalant les
escaliers, affolé.
Quelque
temps plus tard, Razika était placée en observation à la maternité
de la ville. Pendant que son mari remplissait le formulaire de son
hospitalisation, Zahia lui préparait sa chambre puis elle chercha
Selma. Elle entendit sa voix tonitruante dans la salle
d’accouchement.
— alors!
Bonhomme! t’as donné les renseignements en bas?
— oui!
J’habite au village de Skhouna et ma femme s’appelle Regad
Houda, c’est la première fois que je l’emmène ici, Madame.
— Dis-moi,
il y a un centre de soin à Skhouna, pourquoi tu as ramené ta femme
accoucher ici? Brailla-t-elle en direction du pauvre bougre qui se
colla au mur tellement elle était proche de lui.
— On
m’a dit qu’il y a de bonnes accoucheuses, et puis c’est sa
première grossesse, Madame.
— bravo!
Ça, c’est un bon compliment. Puis elle s’arrêta net, voyant
Zahia devant la porte de la salle, qui lui faisait signe. Selma
écarta l’homme en lui disant.
— c’est
bon! Installe ta femme sur ce lit, je reviendrais pour la consulter
tout à l’heure.
Elle
suivit Zahia. Réda arrive à la rescousse et gueula.
— je
t’ai dit de ne pas la laisser seule, si jamais il lui arrive
quelque chose, tu le paieras»
Zahia
ne lui répondit même pas, elle regarda Selma arriver en trombe et
chuchota à l’adresse de Razika.
— voici
la responsable du service des accouchements, c’est elle qui va
s’occuper de toi». Réda écarta Zahia de ses mains et supplia
Selma.
— je
vous en prie, Madame! prenez soin d’elle, aidez-la! je vous
récompenserais.
— commence
par vider les lieux car ici, ce n’est pas la place d’un homme.
Prendre soin d’elle, c’est mon boulot.
— d’accord!
Madame je vous remercie. Il prit Zahia par le bras et la tira dans un
coin, sortit quelques billets et les fourra dans la paume de sa main.
— donne-lui
cette récompense après mon départ et fais bien attention, à
Razika»
Selma
l’oreille aux aguets, l’entendit. Elle roucoula de joie
intérieurement et fit mine d’ausculter Razika. Réda embrassa sa
femme sur la joue et lui chuchota.
— courage!
Ma chérie tout va très bien se passer.
— vous
êtes encore là? Je vous ai dit de déguerpir, vous ne pouvez pas
rester ici.
— oui!
Oui! D’accord! Je m’en vais, Zahia! téléphone – moi dès
qu’il y a du nouveau, s’écria-t-il en fermant la porte.
Selma
rassura Zahia. Elle lui affirma qu’elle avait tout préparé. Elle
lui demanda presque en murmurant.
— t’as
apporté l’autre moitié de la somme convenue.
Zahia
acquiesça de la tête. Contente, elle sortit en adoptant sa démarche
chaloupée, en signe de satisfaction. Un énorme vacarme émanait de
la salle d’accouchement, Des gémissements, des appels à l’aide,
des prières, tout parvenait d’un coup aux oreilles de Selma. Quand
elle ouvrit la porte, curieusement, tout le monde se tut. Elle se
dirigea directement vers le seul homme présent dans la salle. Elle
tapota sur son épaule et lui dit sévèrement
— retourne
chez toi bonhomme! et reviens demain à l’heure de la visite.
Elle
claqua des mains pour réunir les sages-femmes et recenser les femmes
qui sont sur le point d’accoucher. Selma profita de la présence de
la gynécologue qui sortait de chez Houda et lui demanda son avis sur
son état de santé.
— elle
va accoucher d’un moment à l’autre, il faut la surveiller de
près, car elle présente des signes évidents qu’elle pourrait
porter des jumeaux.
— des
jumeaux! C’est trop beau pour être vrai.
— quoi !
Je n’ai pas bien entendu, Selma.
— non !
Rien! Marmonna-t-elle, je voulais dire que cela pourrait lui faire
plaisir.
La
gynécologue fit une grimace et entra dans son bureau. Elle ferma la
porte au nez de Selma qui haussa les épaules, et continua sa ronde.
Elle s’installa ensuite sur un fauteuil, déroula un papier et
croqua bruyamment un casse-croûte qu’une visiteuse lui avait
remis.
A
deux heures du matin Selma assistait Razika. À son grand étonnement,
elle accoucha d’un bébé mort-né. Razika éclata en sanglots.
Zahia tenta de la consoler, car elle avait piqué une crise de
larmes. Elle fourra sa tête dans l’oreiller, secouée par de
brusques convulsions Selma fit jouer son expérience et réussit à
la calmer.
— écoute !
Cocotte, je maîtrise la situation, tu vas ameuter tout le service
par tes gémissements. Personne ne doit voir ce bébé. Zahia !
refais-lui son maquillage; il ne faut pas qu’on la voie dans cet
état. Je reviendrais plus tard.
Elle
enveloppa le bébé mort dans une couverture et sortit en catimini.
Elle le cacha dans son bureau et retourne voir Houda. Elle avait des
contractions et gémissait de douleur. Deux infirmières étaient à
son chevet. Selma fronça les sourcils et s’esclaffa.
— ça
va les filles ! Laissez-la se reposer, je vous appellerais si
j’aurais besoin de vous.
Les
deux infirmières s’éclipsèrent. Devant la porte, l’une d’entre
elles se retourna et rétorqua.
— nous
serons dans les parages ou cas ou tu aurais besoin d’aide.
— d’accord!
Les filles. Merci!
Selma
tira une chaise vers elle et s’assit en face de Houda. Elle sortit
ensuite le reste de son casse-croûte et le termina, toujours aussi
bruyamment.
— t’inquiète
pas! Poulette, Mama Selma est là pour te rassurer.
Une
heure plus tard, Houda eut ses premières contractions. Elle suait et
haletait. Selma constata qu’elle éprouvait des difficultés à
respirer. En femme d’expérience, elle ramena dans la chambre, la
bouteille d’oxygène et ses accessoires, puis elle aida Houda à
accoucher de deux magnifiques bébés. Elle les déposa sur la table.
Elle lui plaça ensuite le masque à oxygène. Elle appela les deux
infirmières et leur confie les deux bébés pour les placer dans la
couveuse. Puis, profitant du demi-sommeil de Houda provoqué par son
insuffisance respiratoire, elle ramena le bébé mort-né de Razika.
Elle attendit qu’elle soit consciente, pour lui annoncer la
mauvaise nouvelle en essayant d’être plus convaincante
— voila!
Dieu est grand! t’as eu des jumeaux, l’un est en bonne santé
dans la couveuse, mais son frère n’a pas eu sa chance, il n’a
pas survécu.
La
femme sursauta en voyant le bébé mort dans les bras de Selma, elle
la regarda, Puis elle le prit dans ses bras et l’embrassa sur le
front et le serra contre elle en versant quelques larmes. Selma
détourna le regard, pour éviter de sombrer dans la compassion. La
femme renifla, et le tendit à Selma en lui disant.
— vous
savez, c’est toujours trop dur de se séparer de sa chair, mais je
suis contente que dieu clément et miséricordieux n’a pas voulu me
faire souffrir, il m’en a laissé un, et je le remercie.
— tu
diras à ton mari de venir le récupérer à la morgue pour obtenir
son constat de décès, je vais te ramener ton autre bébé.
Tard
dans la nuit, Selma entra chez Razika avec l’autre bébé dans les
bras.
— habille-le
vite, et prépare-toi à la visite de ton mari. Voila! Sœurette, mon
boulot se termine là, tu vas appeler son mari pour qu’il
l’enregistre. On lui délivrera son carnet de vaccin et vous
disparaissez, quant à moi, je prendrais la part qui me reste et je
m’estomperai.
Zahia
prit son sac et sortit une liasse de billet enroulée dans un morceau
de journal et la tendit à Selma qui tel un prestidigitateur
l’escamota.
Réda
bondit de son lit dès que Zahia l’eut appelé pour lui annoncer la
nouvelle. En quelques minutes, il était chez Razika, il resta un
moment suspendu à son coup, puis il se tourna vers le bébé.
— À
ton tour maintenant, mon fils, si tu savais combien de temps, j’ai
imploré dieu pour t’avoir. Je t’appellerais Adlane j’ai
toujours aimé ce nom.
Il
prit le bébé et le souleva au-dessus de sa tête et s’adressa au
ciel.
— merci!
Mon dieu, merci mille fois! Je suis enfin un homme comblé. Puis, il
le posa et appela sa mère.
CHAPITRE
DEUX
LES
DESTINS CROISES
Vingt
ans après, les jumeaux avaient grandi, chacun selon son destin.
Adlane vivait dans l’opulence tandis que Cheikh le fils de Houda
souffrait de la précarité et la pauvreté. Si Réda gâtait Adlane
parce qu’il avait les moyens. Le père de Cheikh était journalier,
il travaillait là ou son talent de puisatier était sollicité.
Presque tous les puits de Skhouna et ses environs ont été creusés
de ses mains. Viré du collège, Cheikh tenta de se lancer dans le
commerce et paradoxalement tout lui réussissait. De vendeurs de
melons, en passant par la vente des fruits et légumes, son talent
pour flairer la bonne affaire était stupéfiant. Grâce à lui, la
famille se redressa financièrement et ses deux petits frères ont pu
aller à l’école.
Mais
un jour, la fatalité frappa douloureusement sa famille. Le père
glissa et tomba dans un puits qu’il était en train de creuser. Les
deux manœuvres n’ont pas pu le sauver. Cet accident mortel
avait complètement bouleversé la vie de Cheikh. Il sombra dans
la boisson, et le vol, pour s’occuper tant bien que mal de sa mère
et des deux frères. Cette lourde responsabilité l’obligea à
commettre de menus larcins, ce qui le conduisit à faire des petits
séjours en prison. C’était là, qu’il avait fait la
connaissance de Selma la sage-femme qui, licenciée de son poste
à la maternité, pour mauvais comportement et entrave à la
réglementation hospitalière, a pu trouver un emploi d’infirmière
à la prison de la ville, après avoir galéré quelques années.
Elle s’est souvenue de lui, car elle avait enregistré
l’affiliation des jumeaux à leur naissance, pour sa sécurité.
Elle ne faisant pas confiance à Zahia.
La
joie de réda
Contrairement
à
Cheikh, Adlane n’a
jamais été
inquiété
financièrement
durant son enfance. À
l’école
primaire, il était
le chouchou des élèves. Les
enseignants étaient
aux petits soins avec lui. Il
ne se déplaçait
qu’en voiture. Au lycée,
son comportement d’enfants gâté
lui a valu plusieurs fois des avertissements de la part de la
Direction. Mais
son père,
au lieu de le moraliser, s’en prenait aux professeurs qu’il
jugeait, jaloux de son fils, parce qu’il claquait de l’argent, à
son âge.
Adlane influençait
son père.
Sa mère,
libérée
de la pression qui l’avait auparavant étouffée,
l’encourageait à
vivre sa vie comme il l’entendait car quelque part dans sa tête,
elle
le fuyait partant du fait qu’elle
n’avait
jamais eu beaucoup d’affection pour lui. C’était
Zahia qui l’avait élevé. A dix-huit ans,
son père
lui offrit une voiture comme cadeau d’anniversaire. Ayant
échoué
au bac, il abandonna le lycée
au profit du commerce. Les
soirées
dans les cabarets se succédèrent,
la boisson était
devenue habituelle, voire quotidienne. Adlane était
devenu trop indépendant,
livré
à
ses lubies. Razika,
attristée
par la décision
des médecins
qui lui ont déconseillé
d’avoir d’autres grossesses, noyait sa déception
dans le plaisir de mordre la vie à
pleines
dents. Aussi,
pour stabiliser son fils, Réda
décida
de lui ouvrir un magasin de vêtements
de haute gamme, qu’il n’occupait guère,
préférant
s’adonner à
ses virées
nocturnes ou à
sa nouvelle passion: la chasse.
Puis
vint le jour qui a fait basculer leur destin. Ayant purgé sa peine
en prison Cheikh se préparait à sortir, Selma guettait son passage.
Elle l’aperçut, devant la porte, accompagné d’un gardien.
Discrètement, elle lui glissa un bout de papier dans la paume
de sa main et lui dit.
—si tu veux connaître qui tu es, tu
n’as qu’à passer chez moi.
Cheikh regarda sa main, et lui
répondit, étonné.
—de quoi tu parles, Selma ?
—tu
le sauras quand on sera chez moi, bien sûr, si cela ne te fait pas
peur, ironisa Selma.
—celui qui me faisait peur est
mort, que dieu ait pitié de son âme, c’était mon père. Mais
je viendrai par curiosité.
Au
même moment, Adlane se préparait à partir à la chasse. Il enfila
sa tenue, et vérifia le sac dans lequel il mit un casse-croûte
concocté la veille. Satisfait, il sortit en fermant doucement
la porte. Tout en roulant, vers le lieu habituel de chasse, il
revivait son escapade nocturne et souriait à chaque fois qu’une de
ses clowneries remontait dans son esprit. Il arriva près de la
forêt de Tamet, une région escarpée, boisée de maquis et
d’églantiers. Il gara sa voiture en bordure de la route sous
un arbre et descendit. L’air frais du matin, lui fit du bien, car
il sentait encore l’effet de la boisson ingurgitée la veille. Le
fusil en bandoulière, il releva son col et s’enfonça dans la
forêt. Le silence était pesant, troublé par des coups de feu,
lointains de quelques chasseurs.
Après
quatre heures de marche, bredouille, Adlane décida de se
reposer sur une crête qui surplombait le village de Skhouna. Du
haut de son perchoir, il contemplait le merveilleux paysage ou
nichait le village en bas, au milieu de la forêt. Il ouvrit son
sac et sortit son thermos pour se verser un peu de café. Au
moment où il porta la tasse à sa bouche, il entendit un
sifflement. En se retournant, Adlane vit à ses pieds,
un grand serpent onduler entre deux rochers. Comme il avait une
aversion particulière pour les reptiles, il sursauta en faisant un
bond en arrière. Son pied glissa provocant ainsi sa chute. Sa
tête heurta une pierre et il sombra dans le néant.
L’ACCIDENT
Ameur
et Miloud, deux maraudeurs et voleurs de bétail rôdaient dans les
parages. Ils avaient l’habitude de passer leur temps sur cette
crête ; Alertés par le cri de Adlane, ils se précipitèrent
dans sa direction. En arrivant sur les lieux, ils découvrirent un
corps étendu quelques mètres plus bas, Ameur, plus prompt descendit
et s’arrêta devant son corps inanimé. Miloud, effrayé lui dit.
— tu
crois qu’il est mort ?
— non !
lui répondit Ameur en levant la tête, il bouge.
— on
va lui prendre ses affaires avant qu’il ne se réveille, et on file
d’ici pendant qu’il n’y a personne aux alentours
Adlane,
encore assommé, tenta de se relever le visage en sang. Une douleur
lui perforait la poitrine Miloud voulait lui parler mais Ameur lui
fit signe de se taire. Adlane tressaillit de froid et sentit qu’il
n’avait rien sur lui, à part son caleçon. Le soleil dans les
yeux, Il discerna deux ombres qui s’agitaient à ses pieds. Il
réussit à marmonner.
— qui
êtes-vous ? pourquoi suis-je en caleçon ?
Les
deux voleurs de bétail emportèrent leur butin et détalèrent en
descendant la pente.
—Attendez! Aidez-moi, je ne peux pas
bouger. Cria-t-il à leur intention, mais ils étaient déjà
loin.
Atone,
il regarda autour de lui et ne vit personne La peur commençait à
l’envahir. Il réussit à arracher un cri de désespoir, mais seul
le sifflement des branches fouettées par le vent lui parvinrent à
l’oreille. Il tenta de forcer son esprit et l’obliger à
enclencher les « tâches » qui ont été oubliées, mais
tout était bloqué. Adlane paniqua parce qu’il ne se
souvenait plus de rien. Après presque une heure de marche, ramassé
sur lui-même, les mains serrant sa poitrine, il s’arrêta au bord
du sentier, s’adossa à un arbre, et attendit. La fatigue, la
douleur et la faim en sont venus à bout. Doucement, il s’assoupit.
Peu après, il sentit des mains vigoureuses le soulever, puis c’était
le néant de nouveau.
Adlane,
l’autre homme.
À
son réveil il fut encore plus surpris par le nombre de personnes
venues le soutenir au centre de santé du village. Houda
pleurait à son chevet.
—qu’est-ce qui se passe ?
Pourquoi tous ces gens sont-ils autour de moi et qui êtes-vous ?
S’écria Adlane en se tordant de douleur, la main
collée sur sa poitrine et la tête enveloppée par un bandage.
Houda,
regarda ses voisins, aussi étonnés qu’elle. Elle leva ses
mains au ciel en hurlant.
— mon
fils ne m’a pas reconnu. Regarde-moi bien ! Cheikh, je
suis Houda ta mère et ceux-là sont tous tes amis. Ils
sont venus te voir, car ils s’inquiètent sur ton état de santé.
— mes
amis ? Mais je ne connais aucun d’entre eux, même vous.
S’exclama Adlane en pointant Houda du menton. Le docteur
se fraya un chemin jusqu’à lui.
— Dis-nous
Cheikh ! Qui est-ce qui t’a fait ça ? C’est grâce à
ces gens que tu es ici. Ils t’ont retrouvé à moitié mort de
froid à quelques kilomètres du village, tu te souviens de quelques
choses ?
— j’ai
entendu seulement des voix, mais je ne me souviens de rien, et je ne
sais même pas où je suis, ni qui je suis.
— allez,
tout le monde dehors! Cria un gendarme en pénétrant dans la salle,
suivi de deux autres. Il se planta devant le Docteur et lui dit.
— Qui
est cette femme ? Houda se leva de sa chaise et lui
répondit, en pleurant.
— je
suis sa mère monsieur le gendarme, je ne sais pas ce qui est
arrivé à mon fils, il est étrange, il m’avait dit qu’il allait
sortir de prison aujourd’hui. Je l’ai attendu toute la matinée.
Voilà comment je le retrouve.
Le
gendarme le scruta et s’adressa au Docteur.
— j’ai
tout l’impression qu’on est devant un cas d’agression
physique. C’est peut-être un règlement de compte puisque sa
mère dit qu’il venait de sortir de prison. Est-ce qu’il peut
répondre à quelques questions ? Il a ses papiers ?
— On
l’a trouvé en caleçon, il n’avait rien sur lui,
vraisemblablement, il a fait une chute qui lui a causé cette
blessure à la tête et à la bouche. Il a trois côtes
cassées. C’est peut-être pour ça qu’il ne se souvient de
rien. À mon avis, il ne peut pas vous répondre, moi ! Je
privilégie le vol.
— bon!
On va prendre la déposition de ceux qui l’ont trouvé.
— je
voudrais que seuls ceux qui l’ont ramené ici restent. Tous les
autres peuvent sortir » Adlane les regarda ébahi, la main
serrant toujours serrant sa poitrine. Houda l’embrassa sur la joue
et dit au Docteur.
—est-ce qu’il va guérir docteur ?
—de
ses blessures, certainement, Madame, mais sa mémoire est figée,
seuls une rééducation et le temps pourraient lui permettre
d’atténuer les symptômes ou de lui apprendre à se réapproprier
ses souvenirs « oubliés ». Il restera ici en
observation et demain s’il n’y aurait aucune complication, il
pourra rentrer chez lui.
Dans
la forêt, après une course folle, les deux voleurs,
s’arrêtèrent sous un arbre et comptèrent leur
butin. Ameur, le plus âgé fouilla le portefeuille de Adlane et
trouva ses papiers et une certaine somme d’argent. Comme il ne
savait pas lire, il déposa les papiers de côté et compta les
billets. Puis il dit à son compère Miloud.
—on
fera le partage dès qu’on aura tout vendu et il remit tout
dans le sac,
— prends
le fusil avec toi. Ajouta-t-il et ils repartirent. Ameur devança son
pote, puis tout en marchant à reculons il lui dit.
— nous
allons chercher la voiture puisqu’on a les clés, il se pourrait
qu’on trouve autre chose de plus intéressant. La voiture doit
être garée quelque part le long de la route, c’est comme ça que
font généralement les chasseurs. On va la longer discrètement
pour la retrouver. Il ne leur fallait pas beaucoup de temps pour
atteindre la voiture, visible de loin. Ils s’approchèrent
doucement et scrutèrent les alentours. Ameur, plus
entreprenant, posa le sac à côté de la voiture et dit à
son compère.
—tu vas te poster sous cet arbre, là-bas !
et me prévenir si tu vois quelqu’un ?
— et
qui me dit que tu ne vas pas filer avec le butin, Ameur.
—tu
n’es qu’un imbécile, Miloud, j’ai encore besoin de toi ?
LE
RETOUR DE CHEIKH
Pendant
ce temps, Cheikh humait l’air de la liberté. Il faisait un temps
splendide. Il avait hâte de retrouver sa famille, surtout sa mère.
Lors de la dernière visite, il l’avait informé du jour de sa
sortie. Cheikh s’étira et plongea la main dans sa poche
pour extraire quelques billets froissés. Il fit la
moue. Il n’avait pas grand-chose, tout juste de quoi déguster un
café et payer le trajet en bus pour rentrer chez lui. Il prit
le bout de papier mêlé avec les billets et le lit. L’adresse
de Selma écrite grossièrement le fit sourire. Il
s’attabla dans un estaminet et commanda un café pressé en
attendant l’arrivée du bus. Le bus arriva enfin, il grimpa juste
derrière le chauffeur. Il n’y avait pas beaucoup de monde. Le
bus ne tarda pas à démarrer. Le chauffeur était très bavard.
Il parlait de tout et de rien. Cheikh ennuyé, ne lui répondait
que par des grognements. Bercé par le ronronnement du moteur, il
s’endormit, mais fut réveillé de sa torpeur par l’éclat de
voix du chauffeur qui s’arrêta de cancaner et s’écria.
—mais
je connais ces deux loustics à côté de cette voiture, elle ne leur
appartient sûrement pas. Ce sont des bandits notoires qui habitent
le village voisin. Cheikh se pencha à travers la vitre. Il vit
deux personnes affolées qui tentaient de dissimuler leurs intentions
en voyant le bus. Il se leva et pria le chauffeur d’arrêter le bus
pour qu’il puisse descendre.
—fais attention avec ce genre
d’énergumènes, jeune homme, ils sont imprévisibles. Lui
cria le chauffeur.
—ne vous en faites pas pour moi, j’en ai
connu des pires.
Dès
que le bus s’arrêta, les deux voleurs prirent leurs jambes à leur
cou en se faufilant à l’intérieur de la forêt. Dans leur
précipitation et par peur d’être interceptés, ils abandonnèrent
leur butin. Cheikh fit signe au chauffeur de repartir. Le bus
redémarra en vrombissant lâchant derrière lui un nuage de fumée.
Cheikh toussa, respira à fond et descendit vers la voiture. Il prit
le sac, les clés étant suspendues à la portière, il l’ouvrit et
s’assit sur le siège avant. En le fouillant, il retira la somme
d’argent et examina les papiers. Il faillit tomber à la renverse
en ouvrant la carte d’identité. Le propriétaire du véhicule et
lui se ressemblaient comme deux gouttes d’eau. La photo sur le
permis de conduire captiva son attention. La comparaison était
frappante. Qui cela peut-il être ? Se demandait-il. Fasciné
par cette trouvaille, il n’entendit pas la voiture de la
gendarmerie s’arrêter au bord de la route. l’un d’eux
descendit et appela Cheikh.
— Le
chauffeur du bus nous a informé que des voleurs ont essayé de
prendre cette voiture. C’est la vôtre. Vous avez les papiers ?
Instinctivement,
il lui tendit les papiers qu’il avait encore entre les mains, en
tremblant. Le gendarme les examina soigneusement, regarda Cheikh
quelques secondes puis, les lui rendit en le conseillant.
— Faites
gaffe la prochaine fois et ne garez pas dans des endroits isolés.
Cheikh
fit un effort considérable pour paraître normal. Le gendarme lui
dit.
— ça
va ! Il ne te manque rien.
— non !
Non ! Tout est en ordre. Balbutia Cheikh en saluant le gendarme
qui remonta dans son véhicule.
Il
mit un long moment pour récupérer, car son cœur battait la
chamade. Il se rappela des paroles de Selma, et retira de sa poche le
bout de papier sur lequel figurait son adresse. Il n’y a qu’elle
qui pourrait satisfaire ma curiosité se disait-il. Il jeta le sac et
le fusil dans la malle et garda l’argent et les papiers. Puis il
monta dans la voiture et revint en ville.
Chapitre
Trois.
L’AVEU
Cheikh
trouva rapidement la demeure de Selma. Elle habitait un quartier
populeux, à la périphérie de la ville. Dès qu’il stoppa la
voiture, une nuée de bambins est venue à sa rencontre en criant et
en applaudissant. Il les chassa gentiment et chercha l’appartement
de Selma. Elle vivait dans un deux pièces au deuxième étage d’un
vieil immeuble. Dès qu’elle le vit, ses yeux brillèrent et elle
étala ses lèvres charnues en guise de sourire.
— t’es
quand même venu ! Entre ! Ce n’est pas le palace, mais
tu peux te mettre à l’aise. Un café, parce que c’est tout ce
que j’ai à t’offrir.
— non !
Lui répondit Cheikh, mais si tu as quelque chose à manger je veux
bien, je n’ai rien pris depuis ce matin.
— Il
me reste deux tranches de pizza, je vais te les apporter. Lui
dit-elle en pénétrant dans sa minuscule cuisine pour réapparaître
quelques secondes après avec un plat et un verre de lait.
— alors !
Qu’est-ce qui s’est passé ? Tu es tout pâle, on dirait que
tu as vu un fantôme.
Sans
lui répondre, il lui tendit les deux pièces d’identité. Elle les
prit et les examina.
— dis-moi,
qui est ce bonhomme sur la photo ? Lui dit-il.
Selma
s’enfonça dans son fauteuil et lui répondit, sans détour.
— c’est
quelqu’un qui te ressemble, mais c’est une longue histoire.
Cheikh faillit s’étrangler, il déposa la tranche de pizza et fixa
Selma des yeux.
— j’ai
tout mon temps, rétorqua Cheikh. Selma poussa un grand soupir et lui
raconta son plan.
Cheikh
l’écoutait tout en rongeant ses ongles. Il essuya une larme qui
coulait doucement sur sa joue. Impassible, il hocha la tête et lui
dit.
— c’est
donc toi, qui as tout fomenté. Je pourrais te tuer à l’instant.
Sans
être effrayée, Selma s’excusa et justifia son comportement par le
fait qu’elle a été alléchée par l’argent dont elle avait
cruellement besoin.
— il
faut que j’aille voir ce qui se passe au village, mon frère est
peut-être mort et moi, j’ai lâché ses assassins.
— non !
C’est à moi, d’aller jeter un coup d’œil, n’oublie pas que
tu sors de prison et que tu as des trucs qui lui appartiennent, s’il
lui arrive malheur par hasard, c’est toi qu’on accuserait, parce
que personne ne sait que c’est ton frère. Je reviendrais dans deux
heures si tout va bien. Restes ici et repose-toi en m’attendant. Je
te préviendrais s’il y a quelque chose qui cloche, je voudrais
avoir le cœur net.
Cheikh
fouilla maladroitement dans sa poche et tira les billets d’argent.
— tiens !
Donne cet argent à ma mère pour qu’elle prenne soin de mes
frères.
Selma
prit un taxi et se dirigea vers Skhouna qui se trouvait à une
demi-heure de route. L’unique centre de santé se trouvait au cœur
du village. Elle pénétra dans la salle de soins et vit quelques
jeunes, massés autour du lit de Adlane. La gendarmerie faisait
toujours son enquête en recueillant les dépositions et en
interrogeant les gens. Elle bouscula au passage deux jeunes hommes et
s’écria.
— Cheikh !
Qu’est-ce que tu as ? Tu es blessé ?. Le gendarme se
retourna et lui dit.
— vous
le connaissez madame ?
— oui !
C’était un ex – détenu libéré ce matin. Ah !
Excusez-moi ! Je me présente, je m’appelle Selma, je suis
infirmière à la prison de la ville. Il était malade, je l’avais
soigné en détention, il souffrait de troubles de la mémoire, je
suis venu me rassurer s’il était bien rentré chez lui.
— vous
avez une idée sur les raisons de cette agression parce que cela m’a
tout l’air d’en être une. Lui dit le gendarme en triturant son
carnet.
— non !
Moi je pencherais plutôt pour une chute. On vient de me dire qu’on
l’a trouvé inanimé, presque nu et qu’on lui avait tout prit.
Lui répondit laconiquement Selma. Si vous avez besoin de moi, vous
savez où me trouver, vous avez l’habitude de nous rendre visite.
Selma
appela Houda et lui glissa l’argent dans sa main. Croyant que
c’est une aide substantielle de sa part, elle la remercia. Puis,
Selma reprit le chemin du retour. Elle trouva Cheikh assoupi. Il se
réveilla en se frottant les yeux.
— alors !
Que s’est-il passé ? Se hâta-t-il de dire.
— Il
est mal en point, mais il survivra, il a bel et bien été volé par
ces voyous, mais je crois qu’ils l’ont fait après une chute, il
ne se souvient de rien. Grand dieu ! Il te ressemble tellement
qu’on dirait que c’est toi. Tout le monde l’avait pris pour
Cheikh, y compris ta mère.
— J’ai
trouvé un fusil, une tenue de chasse, et des godasses, ils sont dans
la malle, cela veut dire qu’il était à la chasse. Ce n’était
pas une agression, il était armé. Dieu ne te pardonnera jamais ce
que tu as fait.
— mais,
lui dit-elle j’ai au moins sauvé ton frère de la misère, imagine
que s’il avait vécu avec vous. Vous souffrirez encore plus, toi et
ta famille. Cela me donne une idée. J’ai un moyen de leur faire
payer ce qu’ils vous ont fait endurer.
— épargne-moi
tes combines, Je me contenterais de la vie que dieu m’a prescrite.
— ce
n’est pas du vol, tu vas remplacer ton frère et vivre sa vie en
attendant qu’il retrouve sa mémoire. Ils ne verront rien,
l’essentiel est que tu ne fasses pas de gaffes. Maintenant c’est
toi l’amnésique. Tu n’as rien à craindre. Tu ne connais
rien du passé de Adlane. Ce serait très facile pour toi de jouer ce
rôle Autre chose importante Adlane a été toujours un enfant gâté,
tu n’as qu’à faire le capricieux, ils te laisseront tranquille,
surtout sa mère. Cheikh se redressa.
— pourquoi
sa mère ?
— elle
est lointaine, c’est Zahia, ta nounou. Elle s’est toujours
occupée de toi.
La
Tentation de Cheikh
Selma
lui dévoila son plan. Cheikh resta un moment immobile, puis il leva
sa tête, se lâcha sur son fauteuil, et lui répondit.
— je
suis d’accord, à une seule condition, tu iras en tant
qu’infirmière lui rendre visite chaque semaine et voir s’il ne
manque de rien ».
Selma
roucoula, comme à son habitude lorsqu’elle flaire une bonne
affaire. Elle prit son téléphone et forma un numéro.
— Larbi,
espèce de vieux fainéant, rapplique tout de suite chez moi, j’ai
besoin de toi.
‘ Cheikh
bondit de son fauteuil
— doucement
l’infirmière ! Qui est ce Larbi ?
— ne
t’emballe pas ! c’est un ami qui pourra t’aider à entrer
dans le giron de la famille de Réda. Attention ne le met pas au
parfum.
Cheikh
se rassit et attendit quelques minutes, pour voir entrer un petit
homme chétif, au teint mat qui frétille d’impatience.
— alors !
Me voici ! qu’est-ce que tu es en train de manigancer, Selma ?
— ferme-là
et écoute-moi bien, je te présente Cheikh, tu peux dire que c’est
un fils pour moi. Tiens ! Ce sont les papiers de son véhicule,
il a perdu la mémoire, tu vas le ramener chez lui, en expliquant à
sa famille que tu l’as rencontré par hasard dans la forêt de
Tamert, blessé et désorienté, il ne savait plus qui il était et
ou est ce qu’il se trouvait. En consultant ses papiers, Tu as pu
localiser sa voiture et tu l’as ramené chez lui. Attention c’est
tous que tu leur diras et reviens m’informer. S’ils essaient de
te retenir pour une déposition auprès de la police, tu refuses en
leur expliquant que tu as fait ce qu’il fallait faire. Descends !
Ramène-moi la tenue de chasse et les godasses ».
— qu’est-ce
que je gagnerais dans tout cela ? Demanda Larbi, en esquissant
un geste bizarre pour dérider Selma.
— tu
auras ta récompense habituelle avec, en plus, un petit bonus. Lui
répondit Selma. Puis elle s’adressa à Cheikh.
— allez !
Debout ! À partir d’aujourd’hui, tu es Adlane et tu
enterreras Cheikh, enfile la tenue de chasseur, il faut que tu
grossisses légèrement, dieu tout puissant ! On dirait l’homme
sur la photo. Maintenant tourne-toi.
Selma,
lui assena un coup à la tête avec le bas d’un verre. Cheikh
vacilla, furieux, il attrapa Selma par le cou.
— qu’est-ce
qui t’a pris Salope ! Pourquoi tu m’as frappé ? Selma,
nullement impressionnée, le repoussa sur le fauteuil.
— comment
vas-tu justifier le sang qu’il y a sur la veste et comment es-tu
devenu amnésique, imbécile ! Maintenant, du calme ! je
vais te mettre un bandage et te cacher la moitié du visage, laisse
le sang couler, dès qu’il séchera vous partirez.
La
nouvelle vie des deux frères
Adlane
sortit du centre de soins de Skhouna. Son état de santé s’était
amélioré un peu. Houda le ramena chez elle. Elle lui prépara son
lit et lui donna à manger. Ses côtes lui faisaient mal, il
respirait difficilement. Il observa lentement les murs de la pièce
et son regard s’attarda sur une photo posée sur un bahut. Houda
sourit et lui dit en caressant sa main.
— c’était
toi, quand tu avais quinze ans, tu étais très mignon. Il s’allongea
sur le lit et lui dit.
— alors
je m’appelle Cheikh, et je sors de prison. Qu’est-ce que j’ai
fait ?
— quelque
chose qu’il ne fallait pas faire. Répondit-elle pour ne pas le
vexer.
— ces
deux petits chenapans qui me contemplent sont donc mes frères.
— oui !
Ils sont inquiets, parce que tu ne leur as pas parlé depuis deux
jours.
— je
suis fatigué, je voudrais dormir un peu. Demain , on parlera de
cela.
¨Pendant
ce temps, Larbi arrêta la voiture, devant la grande villa de Réda.
Lui-même ouvrit la porte. Larbi le salua et lui dit.
— je
crois que c’est votre fils, il est blessé, je l’ai trouvé dans
la forêt de Tamert, c’est grâce à ses papiers que j’ai pu vous
localiser. Il me semble qu’il a un problème de mémoire.
Réda
faillit tomber à la renverse. Il aida son fils à pénétrer dans le
couloir et hurla.
— Zahia !
Razika venez vite ! J’ai besoin de vous.
Les
deux femmes dévalèrent l’escalier. En voyant son fils le visage
en sang, Razika se frappa la poitrine.
— mon
fils ! qui t’as fait ça ? Mon dieu ! Il a du sang
partout.
— ça
va! ça va ! Je peux marcher tout seul. Ronchonna Cheikh, d’une
voix grelottante.
Razika
resta un moment, sans voix, elle ne pouvait supporter la vue du sang.
— appelle
vite notre médecin, Zahia ! Cria Reda.
Cheikh
s’arrêta au bout du palier et regarda autour de lui, feignant
d’être perdu. Razika le prit par la main et le conduisit dans sa
chambre, tandis que Zahia remit quelques billets à Larbi, et lui dit
gentiment.
— c’est
juste pour le taxi. On te remercie pour tout ce que tu as fait pour
lui. Si jamais on a besoin de toi ou est-ce qu’on pourrait te
trouver ?
— au
quartier Douda, c’est là que je vadrouille toute la journée, tout
le monde me connaît.
Réda
encore sous le choc ne constata même pas que le docteur était au
chevet de Cheikh. Il déroula le bandage, lava la plaie et essuya le
sang qui lui couvrit le visage puis, il lui mit un nouveau pansement.
Il se tourna vers ses parents et leur dit.
— il
est très éprouvé, laissez-le se reposer, maintenant. La plaie
n’est pas grave, mais il se pourrait que le choc lui a fait perdre
momentanément la mémoire. En tous les cas, je reviendrais demain
pour vous dire si son état nécessite des examens approfondis.
Razika
resta un moment, à le contempler.
— tu
avais l’habitude de prendre une douche avant de dormir, qu’est ce
qui s’est passé ? Tu veux qu’on appelle la police.
— pour
leur dire quoi ? Que je suis tombé !
Razika
se rendant compte de la stupidité de sa question, lui souhaita bonne
nuit et sortit. Cheikh s’allongea sur le lit, les yeux rivés au
plafond. Il se demandait dans quel bourbier Selma venait de le
fourrer.
Au
village de Skhouna, Adlane se réveilla doucement, Houda était déjà
debout. Elle accompagna ses deux enfants au seuil de la porte et
donna à chacun un bout de pain en leur recommandant de bien se
comporter à l’école. Elle entendit tousser et une voix familière
la fit sourire.
— bonjour
Houda !
— bonjour
Papa ! tu n’as pas l’habitude de venir à cette heure, tout
va bien !
— prépare
tes affaires, je t’emmène chez nous, le temps que ton fils
récupère. Tu ne peux pas rester toute seule au village. Ne
t’inquiète pas pour les enfants, je les prendrai plus tard, à
leur sortie de l’école. Et ne discute pas mes ordres.
Dans
la villa de Réda, Cheikh se réveilla de bonne heure, n’étant pas
habitué à la douceur du matelas et le confort qui l’entourait. Il
fouilla la chambre et trouva des vêtements propres dans la penderie.
Il retira un costume, une chemise et des chaussures. Il les posa sur
le matelas puis il prit une douche. À sa sortie, il trouva Zahia,
debout sur le pas de la porte.
— bonjour !
Mon petit bout de chou, tu es réveillé, je t’apporte ton petit
déjeuner, car le docteur va bientôt venir pour t’emmener faire
une radio.
— je
serais prêt dans quelques minutes, j’ai besoin de réfléchir,
laisse-moi seul, d’abord t’es qui ?
— moi !
Je suis ta seconde mère, Zahia, celle qui t’a élevé depuis que
tu n’étais qu’un morceau de chair, tiens voilà ton chat qui
vient lui aussi te dire bonjour.
— je
n’ai jamais eu de chat, et d’ailleurs je ne les aime pas. Lui
répondit-il en s’essuyant le visage avec une serviette. Laisse-moi
m’habiller.
Zahia
s’éclipsa. En sortant, elle croisa Razika venue elle aussi, voir
son fils. Elle mit un doigt sa bouche et l’emmena vers la cuisine.
— je
ne voulais pas que tu le déranges, il est en train de s’habiller,
tu te rends compte, il n’a même pas reconnu son chat.
— je
me suis informé sur ce cas d’amnésie, et on m’a dit que c’est
passager. Il suffit de lui rappeler les endroits qu’il fréquentait
et les objets qu’il aimait. Enfin, le familiariser avec
l’environnement dans lequel il a appris toutes ses habitudes.
Pendant
ce temps Cheikh feuilletait un album photo, il se coiffa de la même
manière que son frère et sortit. Le médecin l’attendait. Zahia
les accompagna.
En
revenant, toute souriante elle informa Razika que son fils n’a rien
de grave et qu’il n’avait aucune lésion cependant pour retrouver
la mémoire il lui faut de la patience. Puis elle rajouta.
— Le
docteur nous a recommandé d’éviter de lui rappeler qu’il était
malade, de le laisser faire des efforts et ne pas totalement
l’assister. Demain je lui donnerais les clés de son magasin.
— fais
comme le docteur t’a dit Zahia, l’essentiel est que je ne change
pas mes habitudes pour quelque chose qui se guérit avec le temps ».
Zahia fronça les sourcils.
— dis-moi
la vérité Razika, cela fait combien de temps qu’on est ensemble.
J’ai vécu toute ma vie ici. C’est moi qui l’ai élevé. Tu
n’as pas beaucoup d’affection pour lui, tu es lointaine, et
parfois même tu le fuis. Pourquoi ?
— c’est
peut-être vrai, mais je fais ce que je peux. J’ai toujours eu en
tête qu’il n’a servi qu’à sauver mon mariage. Je ne peux pas
mentir à moi-même.
— ton
narcissisme va te détruire, un jour, Razika.
— en
tous les cas, il ne m’empêchera pas de vivre ma vie et par voie de
conséquence, toi aussi tu en profites, n’est-ce pas ? Zahia
offusquée, se retira dans la cuisine.
Après
sa visite médicale, Cheikh s’assit sur son lit et regarda le
plateau déposé sur la commode contenant son déjeuner. Zahia frappa
à la porte et entra.
— c’est
ton plat préféré, je voudrais que tu manges, pour te sentir mieux
et rases toi la barbe. Demain je te donnerais les clés de ton
magasin. Il faut bien que tu te remettes au travail. C’est là que
tu mettais toutes ta paperasse. Lui dit-elle, en lui montrant, une
armoire à glissière.
— merci !
c’est gentil lui répondit – il, en essayant de bien mesurer ses
mots.
— tu
n’as pas à me remercier tu es presque mon fils. Ajouta Zahia, en
fermant doucement la porte. Dans l’armoire, il trouva une petite
caisse, dans laquelle il y avait une grosse somme d’argent et tous
les papiers du magasin.
À
la ferme du grand-père ou il venait de s’installer, Adlane se
promenait au milieu des arbres, suivi de son petit frère. Il
découvrait les lieux et errait tout en mâchouillant une brindille.
De loin sa mère le suivait du regard. Parfois, il entamait un
soliloque, ponctué de gestes bizarres, comme s’il essayait de
convaincre quelqu’un. Sa tête lui faisait encore mal, et ses côtes
l’empêchaient de respirer convenablement. Avec l’argent que
Selma lui a donné, Houda l’avait emmené, consulter un neurologue
qui l’avait rassuré. Son fils n’avait rien de grave à la tête,
mais elle doit être patiente et prudente avec lui. Adlane s’assit
à l’ombre d’un grand églantier et taquina un chien qui
proposait sa disponibilité à jouer. Il s’amusait en lui jetant
des petites pierres. Son jeune frère le ravitaillait en munitions.
Il sentit que le silence et la solitude lui faisaient du bien. Au
bout d’une heure, Houda les rejoignit avec une galette de pain et
une assiette contenant du beurre mélangé avec du jus de dattes.
Cheikh apprécia le geste de sa mère et se gava de ce mets exquis.
Dans
la peau de Adlane
Trois
mois se sont écoulés, depuis l’accident de Adlane. Cheikh ayant
pris possession du magasin, modifia complètement le décor, et
chassa les amies de son frère qui avaient l’habitude de
l’accompagner dans ses virées. Il changea de look en se laissant
pousser la barbe. Son sens du commerce lui permit d’avoir d’autres
relations et son magasin prospéra. Régulièrement, il confie à
Selma, une somme d’argent qu’elle remettait à Houda pour prendre
en charge Adlane et ses petits frères. Réda, satisfait du
comportement de Cheikh qu’il prenait toujours pour son fils, ne
voulait pas s’immiscer dans ses affaires, préoccupé par ses
chantiers. Razika était presque tout le temps chez sa mère. Elles
voyageaient ensemble. Seule Zahia était proche de lui. Une fois, ils
étaient seuls dans la villa, Cheikh fumait une cigarette dans la
cour et Zahia l’observait du haut d’un balcon. Elle constata que
le chien de garde grognait et aboyait en reculant à chaque fois que
Cheikh s’approchait de lui. Le chien ne l’avait pas reconnu.
Cheikh prit conscience de son erreur, mais c’était trop tard, du
coin de l’œil, il vit Zahia se dérober derrière le rideau de son
balcon.
À
la ferme, Adlane reprenait ses forces, intrigué par une image qui
lui apparaissait comme un flash, celle d’une devanture d’un
magasin. Il essayait toujours de s’accrocher à cette vision pour
chercher une explication, mais il ne réussissait pas, malgré des
efforts considérables qui l’épuisaient. La venue de Selma le
réjouit, il alla à sa rencontre.
— bonjour,
Selma ! Tu m’as apporté mes cigarettes ! Elle lui
répondit en souriant.
— bien
sûr! Je vois que tu te portes bien, Cheikh !
— oui !
Je commence à m’habituer au grand air, cela s’améliore puisque
je vois de temps en temps des flashs qui apparaissent comme des
éclairs dans ma mémoire.
— c’est
une bonne nouvelle, Cheikh ! Cela veut dire que tu vas bientôt
guérir.
Pensif,
il laissa errer son imagination, puis il lâcha d’un coup.
— j’ai
peur de ce que je vais découvrir, Selma ;
Elle
eut un pincement de cœur et réussit à dévier la conversation.
— Si
tu as besoin d’autres choses, dis-le-moi !
— non !
Mais la prochaine fois si tu veux bien, tu m’emmèneras en ville.
J’ai envie de voir du monde.
— aucun
problème, je passe saluer ta mère et je repars. À la prochaine,
alors !
Durant
tout le trajet du retour, Selma avait senti une boule en travers de
la gorge qui l’empêchait de réfléchir. A SUIVRE.